J’ai rencontré un enfant sauvage
Mais je vous en parlerai après l’histoire plus connue de Victor, l’enfant sauvage de l’Aveyron popularisé par Truffaut. Si vous passez par le village de Saint-Sernin-sur-Rance en Aveyron, peut-être votre regard se portera-t-il devant la mairie sur la statue de Victor, l’enfant sauvage.
Combien de temps Victor a-t-il vécu seul dans la forêt ?
C’est dans le Tarn, dans la région de Castres, qu’on en entend parler pour la première fois. Durant l’hiver 1797, une rumeur se met à parcourir tout le village se répandant comme une traînée de poudre dans tout le canton : on a vu un enfant d’une dizaine d’années, hirsute, marchant à quatre pattes, qui vit au milieu des bêtes et a une balafre en travers de la gorge, il mange des glands, des châtaignes, des racines, et grimpe aux arbres comme un écureuil.
Entièrement nu et fuyant à l’approche des hommes, il ne se laisse pas prendre facilement : on doit même se mettre à l’affût plusieurs jours de suite et profiter de l’heure où il ramasse les glands pour s’en saisir au printemps de 1797. Il s’échappe cependant.
On le capture à nouveau quinze mois plus tard, vers la mi-juillet 1799, mais, rebuté par les mauvais traitements (on l’enferme dans une grange, puis on le confie à une veuve qui essaye de l’habiller et qu’il s’empresse de mordre) il s’échappe encore ; mendiant sa nourriture dans les fermes à l’orée des villages, on le découvre à Saint-Sernin-sur-Rance en janvier 1800.
Il est 7 heures du matin, l’enfant se présente à la porte du citoyen Vidal, teinturier, habitant une maison hors de la ville. Les yeux roulants dans tous les sens, sale, le dos voûté, il réclame l’asile au monde des humains. Le teinturier prévient les autorités.
Pris en mains par les autorités
Le lendemain, Constant-Saint-Estève, un humaniste, décide de s’en occuper et informe le Gouvernement de sa trouvaille, en précisant qu’on doit le considérer comme un “être phénoméneux”. Il mesure 1,36 m, il est couvert de nombreuses cicatrices et ne parle pas. Il marche courbé, ne se nourrit que de pommes de terre crues et rejette tous les autres aliments, même le pain.
Le représentant local du Gouvernement décide de le faire transférer à l’hospice civil de Saint-Affrique où l’on accueille les orphelins, il écrit cette lettre à l’hospice :
“Je fais conduire, citoyen, dans votre hospice, un enfant inconnu de 12 à 15 ans qui paraît sourd et muet de naissance. Outre l’intérêt qu’il inspire par la privation de ses sens, il présente encore dans ses habitudes quelque chose d’extraordinaire qui le rapproche de l’état des sauvages. Sous tous les rapports, cet être intéressant et malheureux sollicite les soins de l’humanité.“
À son arrivée à l’hospice, c’est un enfant hagard, épuisé, qui mord dès que l’on tente de le coucher dans un lit ; il ne fixe personne, refuse la viande qu’elle soit cuite ou crue, et boit de l’eau à la cruche. Sans aucune pudeur, il satisfait ses besoins naturels partout où il se trouve. Il manifeste également des mouvements de profonde tendresse lorsqu’on l’embrasse et qu’on lui témoigne de l’affection.
Il est mis en présence de plusieurs couples dont un enfant a disparu mais aucun ne le reconnaît comme sien.
Fin janvier 1800, il est transféré à Rodez ; c’est à ce moment-là que le ministre de l’Intérieur, Lucien Bonaparte (le frère du consul qui va bientôt devenir Napoléon), fait savoir qu’il réclame l’enfant infortuné si on n’a pas d’espoir de retrouver ses parents.
Lucien Bonaparte écrit au commissaire du gouvernement dans le département de l’Aveyron : “Citoyen, j’apprends qu’il a été trouvé dans votre département, un jeune homme qui ne sait que pousser des cris confus et ne parle aucune langue, je vous prie de me l’adresser sans délai”.
Et c’est ainsi que l’enfant sauvage quitte Rodez. Il a acquis une certaine autonomie, il mange et s’habille seul, mais il reste muet. Le 20 juillet 1800, il part donc à Paris en calèche où il arrive début Août.
La vie Parisienne
Tous les journaux ne parlent désormais que de lui. On le montre à Paris, on l’exhibe, toute la bourgeoisie veut voir l’enfant sauvage. Le curé Bonnaterre qui l’a accompagné le baptise “Joseph”, ceux qui le gardent ont flairé la bonne affaire, par ici la monnaie ! Mais ce sont surtout les savants qui attendent le sauvage de l’Aveyron avec une avide curiosité ; parmi eux, Philippe Pinel – un aliéniste qu’on appellerait aujourd’hui un psychiatre, qui dirige les asiles d’aliénés de Paris – fait subir à l’enfant différents tests. Après de nombreux essais infructueux, il rédige un rapport :
“Voyez-vous, je pense que ce Joseph est idiot, il n’est pas devenu idiot, il est idiot de naissance, et c’est sans doute pour cela qu’il a été abandonné par ses parents dans les bois”. Il pense qu’il ne reste qu’à l’enfermer avec les autres idiots de Paris dans un des asiles qu’il dirige.
Cependant un jeune étudiant en médecine, Jean-Marc Gaspard Itard n’est pas du tout du même avis et il décide immédiatement d’instituer et de diriger le traitement moral de l’enfant dont l’état s’est beaucoup dégradé depuis qu’il est exhibé et enfermé à Paris.
Victor ou l’enfant de la forêt
En mai 1801, Itard rédige son premier “Mémoire sur les premiers développements physiques et moraux du jeune sauvage de l’Aveyron“. Ce long bilan est l’occasion pour Itard de donner un prénom à l’enfant qu’il a baptisé Victor en raison d’un roman très à la mode de Ducray Duminil “Victor ou l’enfant de la forêt”.
Il recrute à l’institution une gouvernante, Madame Guérin qui sera chargée de surveiller continuellement l’enfant, elle touchera 150 francs par an pour cette tâche.
Un jour, le docteur Itard montre des jouets à Victor qui s’en moque royalement mais il ne baisse pas les bras pour autant et continue ses essais destinés à le sociabiliser.
Tous les jours, Madame Guérin l’emmène se promener dans la nature. Une fois, la gouvernante se trouve bien gênée quand elle voit Victor grimper dans un arbre et ne pas vouloir en descendre.
Un jour de neige, il va se rouler dedans en poussant des cris de plaisir sans donner l’impression d’avoir froid.
Le dernier rapport (1806)
Les années passent. Victor finit par montrer de l’intérêt pour les autres. Il embrasse les genoux du docteur Itard, pleure quand il perd de vue sa gouvernante, et puis vint le moment où il faut lui apprendre à parler, il s’agit là du plus grand défi à relever. Spécialiste des sourds-muets, le docteur Itard sait bien que Victor n’est pas sourd. À force de patience, Itard fait prononcer au sauvage son premier mot. L’évènement est vite connu de tous, comme s’en fait écho La Gazette nationale :
“Le jeune homme aujourd’hui, distingue, classe les caractères de l’alphabet. Il fait plus, en prononçant sur un ton de voix ordinaire les mots lait, soupe. Il va chercher de suite les caractères nécessaires pour tracer ces mots ; il les assemble sur une planche, et compose le mot avec toute l’exactitude grammaticale. Chaque jour il acquiert un nouveau terme. Ce ne sont, il est vrai, que ceux qui ont un rapport immédiat avec ses besoins, mais ce sont les seuls qu’il soit même permis à un philosophe de lui présenter. Enfin le voici admis non seulement à communiquer avec nous ; le voici en possession de nos signes conventionnels. Il a franchi la limite ; il est sur notre territoire.“
Le grand problème de Victor, c’est qu’il ne va jamais au-delà du mot, et qu’il ne fait pas la connexion entre “le lait” et son sens. Le docteur Itard veut lui faire apprendre à lire, mais Victor n’y arrivera pas. Il pensait qu’on pouvait évoluer par l’apprentissage, mais ça ne marche pas. Alors, l’été 1806, le Dr Itard est amené à rédiger son quatrième mémoire sur l’enfant.
Le rapport de 80 pages est en fait un constat d’échec. Comme il n’y a plus d’espoir, on décide de le laisser, alors qu’il est âgé d’une vingtaine d’années, à Madame Guérin, la gouvernante qui s’en occupe depuis avril 1802.
Tombé dans l'anonymat
Au début de juillet 1811, Madame Guérin s’installe avec Victor presque en face de l’institution des sourds-muets. Au numéro 12 tout proche, un autre Victor encore enfant viendra rejoindre sa mère de 1812 à 1815, un certain Victor Hugo. Se sont-ils croisés dans leurs jardins qui étaient communs ? Nul ne le sait.
Le sauvage de l’Aveyron meurt âgé d’une quarantaine d’années, en 1828. Complètement oublié, il n’aura pas droit à une tombe, puisque jugé “insuffisamment humain “. Son corps est jeté à la fosse commune. Victor était-il un enfant sauvage ou bien un enfant autiste probablement abandonné par sa famille ?
Selon Serge Aroles, chirurgien, les cicatrices sur le corps de Victor ne sont pas celles d’une longue vie dans les bois, mais celles d’une maltraitance humaine et il en vient à cette glaçante conclusion : “Victor était un faux enfant sauvage, mais assurément un authentique enfant martyr”.
Sources : Millavois
Partons en Afrique, plus précisément au Mali…
Joseph, l’enfant sauvage de Markala.
Il y a une douzaine d’années, je visitais le Mali, à l’époque cela ne posait aucun problème. Malheureusement la guerre m’empêche de retourner dans ce pays où j’ai d’excellents souvenirs … mais là n’est pas mon propos du jour.
J’arrive à Markala et mon contact m’emmène dans la famille qui va m’héberger ou du moins me réserver un coin dans une pièce servant de débarras où est posé un lit métallique…. Pour le confort, c’est la cabane au fond du jardin, cabane où l’on fait tout même sa toilette après avoir tiré l’eau du puits.
Avant de m’emmener chez mes hôtes, il me prévient qu’ils ont un enfant un peu spécial, un enfant sauvage.
Voici son histoire :
Joseph a trois ans lorsqu’il disparaît. Tout le village part à sa recherche, on sonde les puits et les crevasses du sol, on fouille la brousse aux alentours, un enfant de trois ans n’a pu aller bien loin l’alerte ayant été rapidement donnée, mais rien, Joseph reste introuvable.
Les parents font leur deuil, les années passent et, six ans plus tard ils apprennent que le chasseur d’un village voisin a capturé un enfant dans la brousse. Immédiatement ils s’y rendent et en effet ils retrouvent leur fils qui a maintenant une dizaine d’années.
Hirsute, il marche à quatre pattes, ne s’exprime que par grognements, lape son eau, refuse toute nourriture cuite, dort lové en chien de fusil à même le sol et son corps est zébré de cicatrices dues à sa vie dans la brousse au milieu des épineux. Comment a-t-il survécu ? C’est un mystère.
Certes nous sommes en Afrique mais inutile de se référer à l’image d’Épinal de Tarzan élevé par des singes, il n’y en a pas au Mali dont la faune se limite à des phacochères et à une race de lapins à longues pattes. Il y a bien des crocodiles et des hippopotames le long du Niger mais dans le genre accueillant on peut trouver mieux.
On suppose que Joseph a été capturé par un soufi, une sorte d’ermite qui vit retiré du monde, mais on n’en connaît pas dans la région.
Joseph est examiné par des médecins qui ne décèlent aucune trace de sévices, sa santé est bonne et manifestement il n’a manqué de rien. Ses parents le ramènent chez eux mais malgré tous leurs efforts, ils n’arriveront pas à le sociabiliser. J’ai parfois joué avec lui et il m’a surpris par sa force colossale. Très espiègle, il a fallu enchaîner la bassine dans laquelle on lui mettait sa nourriture car il avait la manie de la jeter sur le toit. Seule la menace d’un bâton pouvait le faire reculer, ce qui accrédite la thèse du soufi, car qui à part un humain peut lever un bâton en geste de menace ?
Je l’ai revu ensuite au cours d’autres séjours mais toujours aussi sauvage jusqu’au jour où ses parents ont dû s’en séparer car en grandissant, la puberté faisant son œuvre, il ne voyait en sa mère et ses sœurs que des femelles… et elles n’auraient pas été de taille à résister à ses assauts ; de plus il avait acquis une telle force que même son père n’arrivait plus à le contrôler.
J’ai appris il y a deux ans qu’il était décédé en emportant avec lui son mystère, il devait avoir une vingtaine d’années.
Malheureusement je n’ai plus de photos de lui.
Voilà donc l’histoire de Joseph, l’enfant sauvage de Markala au Mali.
Claude Boyer
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