Cannes: 150 ans de souvenirs d’un journaliste fan de cinéma

Cannes La Croisette André Abbe Photo

Combien de participants au Festival de Cannes connaissent vraiment Cannes ? Combien partagent la passion du cinéma ? 
Immersion à Cannes et dans son festival, à travers les yeux d’un enfant de Provence, devenu cinéphile dès son jeune âge.
Voyagez dans le temps à Cannes avec André Abbe depuis les années 50, puis à travers les évènements de 68, puis de l’intérieur du festival en tant que journaliste. Et aujourd’hui, comme retraité.

Dernière mise à jour : 15 août 2023

XIXe siècle - Cannes en charrette

La dernière charrette du village était utilisée par Monsieur Fabre en 1973 à Roquebrune sur Argens (Var)

J’ai un peu oublié ce que mon père m’avait raconté. Un parent Abbe partait le soir de Roquebrune la charrette chargée de tonneaux remplis de son vin. Il arrivait à Cannes le lendemain matin pour livrer sa précieuse marchandise. Son cheval avait parcouru en une douzaine d’heures les 45 km de la route de l’Estérel, pas encore goudronnée à l’époque.  Qui était ce parent ? Quelle quantité de vin était transportée à chaque voyage ? Je sais que le vin était destiné à un café de Cannes, une ville qui compte dans notre histoire familiale. 

À pied avec une charrette, c'est douze heures de marche de nuit et 400 mètres de dénivelée pour rejoindre Cannes depuis le Var. Idem au retour. Carte: Google

XXe siècle - Un simple projecteur puis deux cinémas du village

Un maire fan de cinéma

Le maire Jean-Baptiste Giboin fait voter l'achat du premier projecteur cinéma du village. Carte postale: Archives du Var

Entre 1922 et 25, Jean-Baptiste Giboin, maire de Roquebrune sur Argens, avait acheté un projecteur de films destiné aux écoles.

Pour récupérer des sous, il organisait des projections payantes de films muets (bien sûr) pour les Roquebrunois. J’ai lu ça dans les comptes-rendus des séances du conseil municipal, il ne s’en était jamais parlé dans la famille. Jean-Baptiste est le père de la mère de ma mère.

Les deux cinémas du village : le Star et le Vox

Le ciné Star à Roquebrune sur Argens en 1974 - Photo Jean-Paul Martin

Plus tard, le cinéma parlant est arrivé. Roquebrune comptait deux cinés: Vox, le plus chic, et le Star le plus miteux.

Le Star délabré au son pourri était la propriété de Pitone du Puget, un cinéphile. Je me souviens d’y avoir vu “Topaze” avec Fernandel (film à visionner sur Youtube). 

Une séance était prévue le jeudi après midi mais Léon, projectionniste et Toni Salvetti, caissier et surveillant, ne démarraient que s’il y avait un minimum de dix spectateurs. Il m’est arrivé au moins deux fois d’aller dans la rue essayer de convaincre des dames de nous rejoindre. Plus récemment, j’étais seul au Vox de Fréjus lors d’une séance…

Certains de mes copains n’allaient au ciné que s’il y avait des Mickeys (dessins animés) en première partie. Ils demandaient le dimanche matin à des spectateurs qui étaient allés à la séance du samedi soir.

Cinéma le Vox à Roquebrune - photo Fernand Chauvier - collection Jean-Paul Martin

Lors de ma première projection, je devais avoir 4 ou 5 ans. J’avais vu l’affiche d’un film avec un chien pour héros. Les films du Star étaient affichés sous notre maison, près de la fontaine. lls me faisaient rêver. Ma mère m’a emmené le dimanche voir ce chien qui avait l’air malheureux dans le film, je me suis mis à pleurer et nous sommes sortis au milieu de la projection. Je m’en souviens comme si ça s’était passé hier. Etonnant, j’ai tendance à tout oublier.

Quand j’avais une dizaine d’années, le billet coûtait 30f au Star et 50f au Vox, un autre souvenir précis. La différence venait du standing supérieur du Vox qui proposait deux tarifs, c’était moins cher dans les premiers rangs (pareil au Casino à Saint Raph où le balcon était plus cher). Trente francs, c’est 3 centimes d’aujourd’hui. Pourtant il y avait des resquilleurs, y compris chez les riches. Certains parents trouvaient que payer pour aller voir des couillonnades était du gaspillage.

1949 - La B14 pas assez chic à la Croisette

La Citroën B14 n'était pas assez chic pour rouler à Cannes - Photo: CJP24

J’ai eu l’occasion de parler de nos sorties en B14 qui étaient hasardeuses. La B14 est restée au garage jusqu’en 49 environ car il n’y avait ni pneus, ni pièces de rechange disponibles. Mon père avait acheté ce modèle de 1930 avant 39 et l’avait transformé en pick-up.  Le plateau de la B14 est à la Bastide. Mon beau-frère Jo y stocke du bois mais il ne fait plus de feu.

Je regrette qu’on n’ait aucune photo de notre B14. Elle n’avait pas de moteur d’essuie-glace. Quand il pleuvait, le passager devait tourner une poignée pour faire marcher l’unique essuie-glace. Elle n’avait pas non plus de clignotant. Le conducteur sortait son bras pour tourner à gauche. A droite c’était plutôt facultatif. S’il y avait un passager il sortait son bras. Il me semble bien qu’un jour le clignotant était devenu obligatoire et que mon père ait dû les faire installer.

J’ai dû l’écrire déjà quelque part mais tant pis je l’écris encore. Mes parents devant, Jean Bérenguier (frère de Jo) et moi sur le plateau étions allés chercher ma soeur et Jo au port de Nice. En passant sur la Croisette à Cannes, nous nous étions fait empèguer car notre B14 n’avait pas le droit de rouler sur la Croisette, nous avions été déviés sur la rue d’Antibes. Chaque fois que j’allais à Cannes avec avec mon fils Pacha, je lui racontais cette histoire et un beau jour il en a eu marre,  me faisant remarquer que je la lui racontais pour la dixième fois. Ma honte d’être français vient de cette accumulation de détails parfois infimes montrant le mépris pour le populo de notre république restée monarchique.

Je me souviens d’avoir conduit une dernière fois la B14 en descendant le boulevard pour aller chez G. Escoffier qui avait transformé le plateau en remorque et envoyé le reste à la ferraille. Il me semble que le moteur ne marchait plus. En bas de la descente en roue libre on l’avait remorquéee avec la 2cv fourgonnette neuve.

1955 - Hollywood tourne le film "Les vendanges" en Provence

Des scènes ont été tournées dans les vignes de Roquebrune sur Argens en 1955

Les débuts d'un cinéphile

En 1955, il ne se passait pas grand chose à Roquebrune sur Argens. Mais un jour, la classe de CM2 de la directrice Madame Blay avait appris la nouvelle. Le cinéma américain arrivait chez nous. Une brève séquence du film “les Vendanges” fut tournée devant la petite vigne située devant la vaste maison de Bagatelle. Le feuillage des vignes avait été couvert d’une poudre rouge afin qu’il puisse apparaitre vert en technicolor. J’avais tout vu.

Mel Ferrer et celui qui jouait son frère, veste sur l’épaule, arrivaient et demandaient “Est ce que vous embauchez pour les vendanges ?”. Un vieux paysan leur répondait “Voyez notre vignoble, il a été dévasté par la grêle”. Le réalisateur Jeffrey Hayden avait fait tourner la courte scène dix fois au moins, avant de parvenir à la bonne prise. J’étais épaté.

Le film sorti en 1957 n’avait pas connu un grand succès mais ce n’était pas un navet. Michèle Morgan, la blonde et Pier Angeli, la brune, superbes, lui avaient sauvé la mise.

J’ai revu hier Mel Ferrer, acteur américain d’origine catalane, dans “Le jour le plus long”. Il a joué dans une multitude de films sans jamais devenir une star de premier ordre. Dans “les Vendanges”, Michèle Morgan en tombait amoureuse. Chaque fois que je le vois, je repense à Bagatelle dont la vigne a disparu. Mais mon amour du cinéma est resté.

Années 50-60 - Magali ou mon amour précoce du cinéma

Hier soir, j’ai vu “Razzia sur la chnouf” grâce à la TNT récemment installée. Magali Noël y jouait avec Jean Gabin. M’est revenu le souvenir d’une soirée au “Théâtre de verdure” des Issambres, un grand gala organisé par un certain Claude Tabet qui présentait des artistes invités, puis un chanteur, puis un film en première mondiale. Je me souviens d’un navet se déroulant en forêt vierge dont André Claveau était la vedette. Une autre fois, Edmond Taillet chanteur fantaisiste avait fait son tour de chant. “je suis fait d’un seul bloc, je suis taillé dans le roc…” était son tube. Il avait un profil de tortue étonnant de ressemblance. 

Quelques années plus tard, on avait appris par la télé qu’Edmond Taillet était un gangster international, grand trafiquant de drogue. Je n’ai plus jamais entendu parler de lui. Je le chercherai sur internet chez des amis. Dans des robes d’été chics, Magali Noël, Rosana Podesta et Dawn Adams avaient répondu banalement à des questions banales de Tabet. J’étais épaté par leur grâce et leur charme. Moi qui oublie les noms propres, je me souviens de ces noms-là. Aucune des trois n’a fait une carrière de star, mais on en voit une de temps à autre dans des films 50-60 à la télé. J’avais 15 ans à peu près. J’assistais à toutes ces soirées grâce à M. Bardou qui travaillait pour Beaumont.

Bien plus tard, j’avais une accréditation “rose”, la meilleure pour la presse, au festival de Cannes qui m’ouvrait toutes les portes y compris celle des conférences de presse des stars. Je n’y allais pas. Le plaisir de voir les actrices de près m’avait passé. Mes stars préférées étaient Eva Marie Saint, Grace Kelly et Marylin. Pourtant dans la vraie vie j’ai préféré les brunes, en général.   

1972 - La Quinzaine des jeunes réalisateurs

J’ai écrit lundi l’histoire de mon passage au Festival et ma déception. Mais la vraie raison de ma venue à Cannes était un pèlerinage, 50 ans après mes premières joies de festivalier partagées avec mon épouse. Je me suis baladé dans Cannes, j’ai fait un autoportrait devant ce qu’il reste du Star, en travaux, caché par des panneaux. Cafard et nostalgie. Pour finir ma journée j’ai assisté au concert d’orgue de l’église Notre Dame. J’ai découvert le nouvel orgue, nouveau pour moi, il date de 2010 et Henri Pourteau, organiste et conférencier de talent.

Début mai 1972 , un ami d’enfance qui vivait à Cannes à l’époque nous avait expliqué que venait de se créer, en marge du Festival “officiel”, “la Quinzaine des jeunes réalisateurs” et qu’en se débrouillant on pouvait assister à des projections.

En effet, en haut de la rue d’Antibes, les trois salles du Star et la salle du Français présentaient des longs métrages venus des 5 continents. Un nouveau monde pour nous cinéphiles à l’occasion.

Nous y allions le jeudi, en fin de semaine et parfois quand le programme était alléchant, après la sortie de classe de mon épouse. En principe, l’entrée était réservée aux pros mais les contrôleurs laissaient entrer le public quand il restait des places. Ambiance bon enfant à l’époque. Mais ça a vite changé.. bref. J’ai retrouvé sur internet quelques films que nous avions aimés: “Family Life” de Ken Loach, déjà là. “Los dias de l’Agua” de Manuel Gomez, “Los dias del Amor” d’Alberto Isaac. Nous découvrions le cinéma d’Amérique latine.

Le Star se trouvait pas bien loin de l’ancien Palais devenu le Hilton, pratique pour le va et vient. Aujourd’hui, le tapis rouge et le bunker sont à l’autre bout de la rue d’Antibes et notre Star a perdu tout son attrait pour les organisateurs du Festival. J’espère qu’il va réouvrir après modernisation. Je crains qu’il soit remplacé par des boutiques chics. Le Français a, lui, disparu depuis longtemps.

Si je n’avais pas accompagné Nana à la gare, je ne serais pas allé à Cannes; la page est maintenant tournée sur le Festival. Clap de fin, sans regret.

Je dois mon meilleur souvenir de x72 à la projection, en compagnie de mon épouse et cet ami d’enfance, du moyen métrage “Camille ou la comédie catastrophique” de Claude Miller avec Philippe Léotard et Juliet Berto, disparus il y a longtemps. Nous avions beaucoup ri. Une perle oubliée…

J’aimerais le revoir mais je ne sais pas comment le retrouver. Si vous connaissez un moyen…

1974 - Descendez les marches

L'ancien Palais est devenu un hôtel

Du temps de l’ancien Palais des Festivals, l’acteur, l’actrice, le producteur qui descendaient les marches se trouvaient face à la mer, les îles de Lérins à leur gauche, les sommets de l’Estérel à leur droite. De nos jours, la descente des marches se fait face à des immeubles cossus mais moches. Mais il y a plus de marches à descendre…

Un hôtel Hilton a remplacé l’ancien Palais des Festivals. Je fais partie de ceux qui ont signé des pétitions pour qu’on conserve ce Palais témoin d’une époque, face à la mer, sur la Croisette. Dans le sous-sol du Hilton, une salle a été construite qui ressemble un peu à l’ancienne. Histoire de faire naître la nostalgie chez les anciens. La “Quinzaine des Réalisateurs” y présente sa sélection.

(En 2022, le Hilton n’est plus un Hilton, paraît il.)

Michel Piccoli est venu manifester avec nous

J’ai participé à la première manifestation contre Giscard d’Estaing qui venait d’être élu président quelques heures auparavant. Dans un modeste cinéma de la banlieue de Cannes, devait être projeté à l’initiative du PSU, “Histoire d’A”, film sur l’avortement. La projection avait été interdite et les CRS nous avaient virés de la salle. En empruntant de petites rues que nos amis cannois connaissaient, nous nous sommes retrouvés assis sur la Croisette devant le Palais, en présence de dizaines de photographes et de cameramen. Les CRS arrivés après nous avaient hésité à nous tabasser devant de si nombreux témoins. Nous gueulions “À peine élu il nous fait taper dessus” à pleins poumons. 

Vint le moment de la descente des marches, à la fin du film en compétition. Piccoli était là en smoking. Nous avions crié “Piccoli avec nous, Piccoli avec nous !” et il était venu effectivement s’asseoir au milieu de nous. J’avais regretté de ne pas avoir emporté mon appareil photo. 

Hommes en costards et femmes en tenue de soirée étaient venus marcher sur la Croisette en criant Liberté d’expression. La plus belle manifestation de ma vie de militant contre un des plus décevants présidents de la République.

1974 - Arcand, ou ma modeste présence dans des films

Dans “Les invasions barbares”,  Denys Arcand fait dire, en substance, à un de ses personnages “L’occident n’a rien produit entre Virgile et Dante”. Je me suis procuré son courriel grâce aux Brousseau et je lui ai expliqué qu’il y avait eu avant Dante les troubadours dont Dante se disait le continuateur de leur œuvre. Dans le film suivant de la trilogie “l’âge des ténèbres” Arcand me répond. Il fait dire à un personnage “les troubadours j’en ai rien à branler”.

Dans “Dupont Lajoie”, Boisset fait dire au commissaire de police du coin “il ne faut pas effrayer les touristes déjà que les bombages occitanistes leur font peur”. Le film se passe à St Aygulf et c’est de mes bombages dont il était question. “Tourisme piège à cons”- “Paris décide, le Midi crève”.  Mes bombages sont remplacés par des tags sans message aujourd’hui.

Voici ma modeste contribution aux cinémas québécois et français. Mais retournons à Cannes après un détour du côté de Fayence.

Bombages, affichage... les outils de com' d'André Abbe dans les années 60. Ce poster est à découvrir dans la maison Abbe à Roquebrune sur Argens (Var) (elle peut se visiter)

Une fois avec Pierre qui logeait chez les Henriot sur notre placette, nous étions allés de bonne heure caver des truffes blanches à Saint Paul (avec la permission du propriétaire des truffières).  J’en avais trouvé au moins un kilo, avant d’aller à 8h 1/2 à la séance de l’auditorium Lumière. Les truffières ont disparu à Saint Paul et le Lumière me serait interdit si je décidais d’y aller.

André Abbe récolte une truffe d'été avec son sarcloir en 1977

Pendant plusieurs années, le modeste mais confortable voilier d’Alain Martin nous avait servi de logement… à 200m du nouveau palais. J’y avais tourné un sujet en provençal en disant que les téléspectateurs étaient accueillis sur le yacht de Vaqui. Une modeste émission, dans une modeste langue, sur un modeste yacht, ça avait plu aux fidèles téléspectateurs.  

1989 - Le bateau pirate

Galion de pirates Cannes Abbe Photo
Le bâteau du film Pirates croise au large du vieux monastère de l’île Saint-Honorat (Alpes Maritimes) - Photo: André Abbe

Le galion de “Pirates” prend le large.
Grâce à Passadoc, je cherche et retrouve de vieilles photos. En mai 1989, je me trouvais sur l’île de Saint Honorat, près de Cannes.

Et surprise ! J’avais vu le galion du film “Pirates” (1986) franco-tunisien de Roman Polanski apparaître derrière le vieux monastère en s’éloignant.

Pendant plusieurs années, l’imitation d’un galion de pirates ayant servi dans le film de Polanski, présenté hors concours au Festival de Cannes de 1986, est restée à quai dans le port de Cannes. Des sorties étaient organisées pour les touristes. Je n’ai pas été enthousiasmé par ce film mais j’avais trouvé la réplique du galion très réussie.

Pour moi, le plus beau film sur ce sujet est “La Flibustière des Antilles” (1951).
70 ans déjà, la belle Jean (prénom féminin aux USA) Peters jouant le rôle d’Anne Providence, la flibustière.

Affiche film La Flibustière des Antilles
Que trouve Anne dans la cale d’un bateau qu’elle a arraisonné ? Le beau Pierre François LaRochelle, prisonnier des méchants, rôle joué par Louis Jourdan.

Une occasion pour moi de rendre hommage au marseillais Louis Jourdan (né Louis Gendre) à l’occasion du 100e anniversaire de sa naissance, le 19 juin 1921.

Il a refusé de jouer pour les Allemands pendant la guerre, après des débuts prometteurs, et est entré dans la Résistance. Il a ensuite fait l’essentiel de sa carrière aux Etats-Unis où il a joué des rôles de “French lover” sans jamais tomber dans le mièvre ou le ridicule. Il est mort en Californie en 2015. Qui se souvient de Louis Jourdan aujourd’hui ? Un oubli bien injuste.

1995 - Gina Lollobirigida

En mai 1995, je me suis retrouvé derrière Gina Lollobrigida dans l’auditorium Lumière à Cannes, je l’ai déjà écrit mais j’en sais plus maintenant.

Née en 1927, elle avait 68 ans et était superbe. Je ne lui ai pas demandé de se lever pour comparer nos tailles ! Je n’ai pas osé lui parler, pourtant nous avons attendu 10′ avant la projection et elle n’était pas en conversation avec ses voisins. Mitterrand venait de lui donner la légion d’honneur, ce qu’il a fait de mieux en 14 ans de règne finissant. Elle avait fait cette année-là une apparition dans un film d’Agnès Varda, ce qui expliquait sa présence. En plus du banal “je vous admire beaucoup” j’aurais pu parler avec elle de photographie, sa passion.

Depuis ma rencontre manquée avec Gina, je regarde toujours qui est devant moi quand je vais au spectacle. Gina c’est la Bersagliera de “Pain, Amour et fantaisie” (1953) de Comencini, dont ” le Marechal” de Sica est amoureux. Un dimanche j’étais allé avec Charlot au Rialto à Saint Raph pour le voir. Nous nous étions régalés. Eskimo à l’entracte.

Persuasion

"Élégantes au lévrier", André Abbe, 1991 - André fait des rencontres étonnantes pendant le festival

Je manque de pouvoir de persuasion. Deux exemples récents le prouvent : au festival de Cannes, deux toutous me demandent où est le ciné Arcades. Je leur indique la bonne direction, mais ils continuent à marcher dans la direction opposée.

A l’opéra Garnier (Paris), j’étais au niveau corbeilles, deux dames me demandent en anglais où se trouve le balcon. Je leur fait signe d’ aller vers le haut. Pas convaincues, elles demandent à une femme qui leur indique de descendre à l’ orchestre. Elles s’y précipitent ! J’ai toujours eu du mal à convaincre les autres et cela m’a beaucoup coûté.

Juin 2017 - Cannes, de toutes les couleurs

Une femme court sur les quais lors du festival de Cannes 2022. À l'arrière, le yacht converti en salle de réunion et de projection par la chaîne culturelle européenne ARTE. Photo: André Abbe

On pouvait autrefois en montrant sa carte de journaliste à l’accueil obtenir un laisser-passer quotidien qui permettait d’accéder aux stands et aux pavillons des sociétés participantes et obtenir des billets pour assister à des projections.

Jaune, bleue, rose, rose avec pastille et blanche, c’était de mon temps les couleurs des accrédits des journalistes et selon la couleur on avait peu ou beaucoup de droits, notamment celui d’assister aux conférences de presse.

2018 - Deux palmes

Deux Palmes d’Or pour un seul Festival de Cannes, c’est une première.
Palme d’Or simple pour le film japonais “Une affaire de famille”.
Le jury a voulu honorer Jean-Luc Godard avec une Palme d’Or “spéciale” pour “le Livre d’Image” (j’ai vu écrire image au singulier et au pluriel, je ne sais pas lequel choisir), un assemblage qui n’a pas fait l’unanimité.
Godard est capable du meilleur et du pire. Jeune cinéphile j’avais été déçu et contrarié par son film “Masculin féminin” (1966).

Je ne suis plus jamais allé voir un Godard au cinéma, je me suis contenté de la télé.
Godard justement disait que voir un film à la télé est un sacrilège.
J’assume mes sacrilèges godardiens.

2022 - Fichage en action

Les passionnés de cinéma ont laissé la place aux passionnés du business

Le port et à droite le palais des Festivals (le Marché du Film se tient dans le bâtiment rond proche de la mer). Une photo unique ? En plein confinement, André Abbe rentre d'Inde. Il réussit à prendre le seul avion pour Nice. Photo André Abbe

Plus question de participation au Festival sans accréditation, d’accéder aux projections, d’entrer dans le Palais pour collecter des informations. Des contrôleurs en faction scannent votre badge qui sert d’attestation.
Mon dernier passage au Festival de Cannes datait d’avant l’élection de Macron. En ce 22 mai 2022, je me suis rendu au Festival avec l’illusion que grâce à ma carte de presse et celle de la Scam, je pourrais assister aux projections des films sélectionnés par l’Acid et la Semaine de la Critique. Mais non, la carte de presse est aussi dévalorisée et inutile qu’un jeton de téléphone à Cannes. De quoi se poser des questions sur l’accès à l’information pour la presse. Notre Festival est victime d’une américanisation, à l’opposé de sa vocation de 1939.

L'esprit du fondateur du Festival de Cannes Jean Zay est bien loin

Jean Zay avait voulu fonder un Festival populaire par opposition à la Mostra de Venise aux mains du gouvernement fasciste. Une plaque en hommage à Jean Zay a été apposée à l’intérieur du Palais mais interdiction m’a été faite d’aller la photographier. Désillusion.
J’ai déambulé dans Cannes sans raison, sans destination, sans option et pour continuer dans ma sélection de “On”, je me suis retrouvé un peu couillon.

Il est possible, pour faire acte de précision, d’ acheter des billets pour assister aux projections de la “Quinzaine des Réalisateurs” dans le sous- sol du Hilton… À condition que les porteurs d’accréditations n’occupent pas tous les confortables fauteuils vermillon.

Reste la projection à 22 heures de la séance du “Cinéma de la Plage”, ouverte à la population sans distinctions. On projettait le 22, “Un singe en hiver” avec Gabin et Bébel en action, mais j’étais, à cette heure là, déjà de retour à la maison.

Cannes conserve des vestiges de village provençal

Avant d’être une station balnéaire de la Jet Set, avant d’offrir son cadre au Festival du film, Cannes a été un port de pêche provençal dominé par le quartier du Suquet, le tertre en provençal.

“L’Escolo de Lerin” (l’école de Lérins, nom de l’archipel constitué des îles de Sainte Marguerite et de Saint Honorat) liée au Félibrige, perpétue la langue et les traditions provençales à Cannes.

Il existe à Cannes une structure qui s’occupe de locations d’appartements qui s’appelle “les Félibriges”. Mèfi, il n’existe qu’un Félibrige, fondé par Frédéric Mistral et ses amis au milieu du XIXème siècle. Je n’ai jamais sollicité l’honneur d’appartenir au Félibrige mais j’y ai de très bons amis.

Ce peintre cannois aborde les passants en anglais puis en niçois. Photo: André Abbe

Au cours de ma journée passée à Cannes, le dimanche 22 mai, j’ai rencontré dans le marché aux antiquités et aux beaux- arts, un peintre qui s’est adressé à moi en anglais puis en niçois, pour galéger puis pour discuter Après avoir déambulé sur la Croisette ( la Crouseto- la Croseta- petite croix en provençal), en allant à ma voiture le soir, je suis passé devant l’immeuble “Lou Suquetan” (l’habitant du Suquet).

Il existe un dicton en provençal qui dit que lorsqu’on vient séjourner à Cannes, on n’a plus envie d’en partir mais j’ai oublié le texte exact. J’ai la mémoire qui flanche, comme Jeanne Moreau.

Conclusions de 150 ans de souvenirs sur Cannes et son festival

Philippe Léotard dans "Camille ou la comédie catastrophique" de Claude Miller à la Quinzaine des jeunes réalisateurs à Cannes (1972). Cliquez sur l'image pour accéder au site de la Quinzaine avec de nombreuses archives

Cette passion pour le 7e art a démarré par cette séquence avec Mel Ferrer tournée à Bagatelle (Roquebrune sur Argens), puis notre premier Festival de Cannes, ma femme Francine et moi en 72, à “la Quinzaine des réalisateurs”. Ma boulimie par la suite quand j’avais une accrédite, avec parfois 5 films par jour pour tout confondre et mélanger dès le lendemain…….

En plus de 40 ans pendant le Festival je n’ai parlé qu’avec un acteur, Philippe Léotard en sortant d’une séance pour lui dire que j’avais aimé un film de sa jeunesse “Camille ou la comédie catastrophique”. Accompagné de Nathalie Bayle, il avait été surpris et content que j’évoque cette rareté de moins d’une heure qui n’est jamais sortie en salle. Je l’avais vu à la Quinzaine des années plus tôt. Je regrette aujourd’hui de ne pas avoir essayé d’interviewer ou de photographier des acteurs que j’aimais et que je croisais. Timidité ou discrétion. La plupart m’auraient envoyé caguer et j’aurais été vexé.

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