Théâtre : 52 ans d’anecdotes

Spectacle à Saint-Tropez

Juillet, c’est la célébration du Théâtre à travers le festival d’Avignon.
L’occasion pour nous de sortir cette compilation d’anecdotes.
52 ans d’histoire, de théâtre… de 1970 à 2022, découvrez ces différentes histoires avec nous. André Abbe nous fait parcourir la Provence et l’Occitanie pour rencontrer ces metteurs en scène, ces acteurs, ces comédiens.

1972 : Théâtre occitan, la contestation monte contre le camp militaire

Printemps 1972 à Figanières (Var) : “lo darnier moton de Canjuers”
Je ne fais appel qu’à mes souvenirs pour évoquer le premier spectacle occitaniste auquel j’ai assisté. Je ne vais rien demander à André Neyton. Je fais court.

Plan de Canjuers - 1975
Photo : André Abbe, 1975

C’est Debré qui avait voulu faire du plan de Canjuers, la plateau aux cent mille brebis, le plus grand camp militaire d’Europe. Sous Pompidou, le projet s’était concrétisé.
Écrite par Gaston Beltrame, mise en scène par André Neyton, la pièce était un heureux mariage entre humour et contestation. Miquèla y chantait “O Magali ma tant amada”. J’ai beaucoup oublié.

À la fin du spectacle, applaudissements nourris, puis était venu le moment du débat, une institution à cette époque. Les comédiens tanqués sur la scène regardaient droit dans les yeux les spectateurs qui se tenaient à carreau. Deux minutes de silence pesant, pour finir j’en avais eu marre et j’avais demandé en substance, en provençal ou en français, je ne sais plus “quelle est la place de la langue d’Oc dans votre spectacle ?”
Un des comédiens que je ne connaissais pas encore, Jean-Yves Royer, avait répondu avec conviction “c’est une arme”. Je me souviens de cette réponse car je ne m’étais jamais imaginé que la langue de mes parents que je ne parlais pas encore avec eux, il a fallu que je dépasse la trentaine pour les convaincre, pouvait être une arme.

Près de 50 ans plus tard, je me dis que l’occitan et ses dialectes n’ont jamais été une arme mais ils se sont révélés être des outils bien utiles. À la radio et à la télévision, la langue parlée a constitué un lien entre les partisans des graphies du “A” et du “O”. J’y ai parlé mon provençal maritime sans que personne ne m’ait demandé dans quelle graphie je parlais…. Daniel Daumas m’avait raconté qu’une dame lui avait posé un jour cette drôle de question “Dans quelle graphie chantez vous ?” Va comprendre.

Et en provençal ? oui c’est possible, retrouvez quelques mots d’André Abbe par ici !

Ma plus belle soirée au théâtre

Pièce de théâtre : Goodbye Mr Freud
Photo : festival-automne.com

C’était en 1974, j’avais accompagné mon ami Jean-Pierre Loubaton au théâtre de la porte Saint-Martin pour assister à une représentation de “Good Bye Mr Freud” par Jérôme Savary et le Magic Circus que j’avais aperçus à la télé et qui ne m’attirait guère. Miracle, j’avais été enchanté par ce spectacle original et plein d’humour et par la présence de Micheline Presle, ma comédienne française préférée. Je ne m’attendais pas à la trouver là mais l’aïoli prenait entre elle et la troupe du Circus.
Je signale au passage que les deux plus belles actrices françaises sont d’origine auvergnate : Micheline de son vrai nom Chassagne et Arletty (Léonie Bathiat).

Autre miracle, on annonçait à la fin du spectacle que le “Fénomenal Bazaar Illimited” de Guénolé Azerthiope allait donner “l’Apologue”, qu’on comptait sur notre présence, qu’il y aurait un chapeau à la sortie. La moitié de la salle était partie, Jean Pierre et moi étions restés bien sûr.

Cinq ou six comédiens, Jean-Paul Farré étant le seul que j’ai revu plus tard au théâtre et au cinéma, lisaient des textes ridicules, affreux, marrants ou déconnants. L’ensemble était d’une grande drôlerie. Farré, halluciné, au bord de l’extase, lisait des louanges absolues au camarade Staline, comiques et décalées pour nous spectateurs qui en avions appris depuis sur Staline.

À la sortie du spectacle les comédiens distribuaient une feuille en disant, avec sérieux, “prenez c’est obligatoire”. Sur ladite feuille on trouvait la source de toutes ces citations…. l’ode à Staline provenait d’Aragon. Je n’ai plus jamais lu une ligne de lui.
J’ai assisté à des centaines de spectacles, plus classiques, parmi lesquels des dizaines m’ont enthousiasmé mais aucun ne m’a laissé un aussi beau souvenir que cette soirée Magic (que). Saint Martin avait partagé son manteau, Savary et Guénolé s’étaient partagé la soirée pour notre plaisir.

Pour en savoir plus sur cette oeuvre théâtrale, rendez-vous ici !

Années 80: Jan-Nouvè Tamisier seul en scène

Jan-Nouvè Tamisier pendant les vendanges
Photo : André Abbe

Dans les années 1970 et 1980, il donnait son spectacle seul en scène “Viure au Païs es super cool” en Provence et en Languedoc, constitué d’une série de sketches pleins d’humour dans lesquels alternaient le provençal majoritairement et le français.
Les clientes chez l’épicière, les vieux sur leur banc, les vendangeurs dans les vignes qui le soir venu vont assister à une soirée de chansons occitanes…

Jan-Nouvè savait observer. Aux Arcs sur Argens (Var), à Cadenet (Vaucluse), il allait écouter les vieux qui prenaient l’air et faisait la tournée des épiceries. À Roquebrune sur Argens (Var), il faisait chaque année les vendanges chez nous puis il allait les faire à Saint Julien (Var).
Il existe une cassette audio de ce spectacle. Celle que je possède est hélas inaudible aujourd’hui. J’espère qu’il existe une bande son originale qui pourrait un jour redonner vie à ce spectacle dont il n’existe pas d’équivalent à ma connaissance dans le théâtre occitan.

Un peu de provençal, par ici !

" Avé l'assent "

Manifestation provençal
Photo : André Abbe, 1980

Sur France 4, j’assiste à une représentation de “Dom Juan” de Molière. Le metteur en scène a insisté sur le ridicule du paysan et de la paysanne qui se fait rouler par Dom Juan. Et pour en ajouter sur leur aspect minable, il les a affublés d’un accent du Midi ressemblant à celui d’Orane Demazis dans la Trilogie de Pagnol, pour tout dire pas très réussi. Au même moment, je reçois un courriel m’apprenant qu’une marque de GPS laissera le choix à l’utilisateur de recevoir les renseignements avec l’accent chti, toulousain ou provençal “Oh Bonne Mère, virez à droite dans la rue Roumanille”. Je trouve cette initiative, type galéjade, plutôt sympathique.

Notre accent est soit pitoyable soit risible pour les beaux esprits franchouillards. Avec son accès à la radio et à la télévision, grâce en partie aux émissions en langue régionale, il gagne peu à peu en dignité. À l’exemple de JM Apathie et O. Dartigolles, il est possible aujourd’hui d’être un journaliste en vue à Paris et d’avoir un accent “du Sud Ouest” affirmé.

Courage locuteurs qui s’expriment “avé l’assent”, vous pourrez un jour peut être devenir Premier Ministre sans être ridiculisés par les humoristes en mal d’inspiration.

2010: hommage à Laurent Terzieff

Laurent Terzieff
Photo : Le Télégramme

Il était mort en juillet et le 5 décembre 2010 avait eu lieu à l’Odéon une soirée unique lui rendant hommage.
Je m’étais pointé à l’arrache, le spectacle était en grande partie sur invitation, complet, mais la dame du service presse m’avait offert une place sur un strapontin de l’orchestre près de la scène. Terzieff était présent par la voix dans un “Dialogue entre JS Bach et R.M Rilke”. Gérard Caussé avait joué à l’alto des suites pour violoncelle de Jean-Sébastien Bach. Des comédiens étaient venus parler de Terzieff.

Les hommages à des artistes défunts sont souvent indigestes, mais là j’avais vécu une soirée poignante. Les gens présents n’étaient pas des spectateurs, ils étaient plus que ça. Difficile à expliquer, d’ailleurs quand un spectacle me plait ou m’émeut je suis un peu un autre et je me retrouve tel que je suis entré à la sortie, pas toujours simple. J’ai dû voir une douzaine de pièces à l’Odéon mais deux m’avaient particulièrement plu.
En novembre 1987, j’avais vu seul au pigeonnier la moitié de “le Marchand de Venise” avec François Chaumette, Christine Fersen, Richard Fontana. Belle mise en scène, magnifiques comédiens…. mais j’avais un rendez-vous bidon en cette fin de dimanche après-midi avec deux responsables d’une revue en occitan auxquels j’allais présenter Aquo d’Aqui. Quel regret j’ai aujourd’hui d’être parti à l’entracte pour rien.

En février 1988, François, 14 ans, et moi étions montés à Paris pendant les vacances d’hiver. Nous étions allés voir “Mort d’un commis voyageur” de Miller en compagnie de Lisa chez qui nous logions. J’en ai reparlé récemment avec François qui avait beaucoup aimé. François Périer, Claude Winter, Paul Crauchet et le “brico market” m’ont offert un des plus beaux souvenirs de théâtre, grâce en partie à la présence de François. La compagnie importe autant que le spectacle vu à l’occasion d’une soirée.
À la fin du même séjour, François et moi étions allés voir “Arturo Ui” avec Guy Bedos à Chaillot.

Toutes mes sorties théâtre avec François ont été réussies sauf une : à la chartreuse de Villeneuve, en portugais, en 88, des textes de Pessoa à l’occasion du centenaire de sa naissance. François s’était
ennuyé ! Il n’avait rien compris à ce que disaient Maria de Medeiros et Luis Miguel Cintra. Moi même je n’avais pas tout compris, je l’avoue. Mais la langue de Pessoa est une musique qui me plaît. Nous partions le lendemain au Portugal via les Landes en compagnie des Bresson, raison pour laquelle j’avais embarqué François chez Fernando Pessoa. Il me parle parfois des “plans moisis” que je lui ai imposés. C’en était un particulièrement pénible pour lui.

PS : je me suis gouré, c’est en décembre 93 que François et moi avons vu “la résistible ascension d’Arturo Ui” de Brecht, j’ai vérifié dans l’ordi, ça me revient maintenant. C’était du savary, grandiose.

En savoir plus sur Laurent Terziefff ? Retrouvez une vidéo de lui dans les archives Ina par ici !

2003: Paul Barras, révolutionnaire dans l'ombre de Mirabeau

Paul Barras
Photo : Wikipédia

Paul Barras (1755-1829), patron du Directoire, est moins connu que son compatriote provençal Mirabeau. Il est pourtant un personnage clé de la Révolution.

André Neyton a écrit et mis en scène une remarquable pièce en 2003, en français et en provençal, “Barras, le vicomte à l’ail” qui a été jouée à Fox-Amphoux (Var) village natal de Barras, puis à Toulon. Grâce à Neyton et au Centre Dramatique Occitan, nous découvrons un Barras attachant, pittoresque et fin politique. C’est lui qui a permis à Bonaparte d’accéder au pouvoir et qui a inventé le personnage de Marianne, symbole de la République. Miquèu Montanaro a composé la musique très enlevée du spectacle.

Mais qui est André Neyton ?

La légende noire du soldat O
Photo : Passadoc

Auteur, comédien, directeur du théâtre Comédia à Toulon et de sa pièce “La légende noire du soldat O” (novembre 2004), évoquant le triste sort du soldat Odde de Six Fours (Var), fusillé pour l’exemple en 1914. Pièce qu’il a écrite en occitan et en français.

Aussi, directeur du Centre Dramatique Occitan, il a donné en mars 2016 au Comédia à Toulon les quatre premières représentations de la pièce “Moi, Gaston Dominici, assassin par défaut” dont il est l’auteur et l’acteur principal. Neyton y incarne un Dominici occitanophone parlant mal le français, beaucoup plus près du personnage historique que les Dominici joués au cinéma par Jean Gabin puis Michel Serrault.

André Neyton et Daniel Herrero
André Neyton (à droite) en compagnie de Daniel Herrero (à gauche) au Comédia - Photo : André Abbe

Des difficultés pour se déplacer ont contraint André Neyton de renoncer à jouer la pièce “Moi, Gaston Dominici, assassin par défaut” dont il est également l’auteur et le metteur en scène. Souhaitons qu’il puisse un jour remonter sur les planches pour donner vie au Dominici vieilli et fatigué, parlant bien l’occitan et peu le français. Il paraît difficile de trouver un comédien, âgé et occitanophone, capable de reprendre le rôle. Ses béquilles permettent toutefois à André de se déplacer et de recevoir ses amis au théâtre Comédia à Toulon. Il prépare le programme de cet automne, sans pouvoir y inclure cette pièce.
Fort heureusement, une captation vidéo du spectacle a été réalisée en 2019. Les comédiens du Centre Dramatique Occitan jouent tous les personnages de l’affaire, les Dominici, le commissaire marseillais, la journaliste parisienne, le gardien de prison…. Le DVD est disponible.
Le 4 août 1952, il y a 70 ans, Gaston avait été déclaré coupable du triple meurtre d’une famille anglaise. Il avait échappé à la peine de mort.

 

Au Festival d'Avignon, j'étais In, je suis Off

Festival d'Avignon
Parade d’une troupe faisant la promo de son spectacle, place des Corps Saints à Avignon - Photo : André Abbe - Juillet 2012

Théâtre classique du répertoire, théâtre contemporain, café théâtre, seul en scène, music hall, comédie musicale… tout ça c’est du théâtre et je me suis souvent trompé sur la marchandise. Il me reste des souvenirs, en voici quelques-uns.
Premier festival de Théâtre au Monde, Avignon a beaucoup changé en 50 ans. Paraître original, ne pas être en retard d’une mode nous ont conduits à un théâtre souvent indigeste.

À l’issue d’une représentation ambulatoire gratuite sur la place du Palais des Papes de “Jules César” de Shakespeare, Jean Pierre Joris avait fait part de sa tristesse et de sa déception. Il ne restait plus rien de ce que Jean Vilar avait fait naître.

C’était lors de la dernière en juillet 2012, Joris, 87 ans, était entouré de jeunes comédiens. Il avait été Rodrigue dans “le Cid” de Corneille en 1947, mis en scène par Jean Vilar dans la Cour d’honneur du Palais. Ce vieil acteur (décédé en 2017) était le témoin vivant d’une époque révolue, d’un théâtre tourné vers le peuple. Un moment d’émotion pour tous les spectateurs présents. Reste le Off et les sympathiques parades des troupes qui viennent faire leur promo dans les rues de la vieille ville. C’est ce que je préfère. Benedetto dans son théâtre des Carmes et Neyton sous son chapiteau insulaire donnaient des pièces en occitan à leur époque. Vous aurez du mal à en trouver une cette année, je le crains.

Et aujourd’hui, qu’en est-il du festival ? Retrouvez toute la programmation par ici ! 

Anne Clément, près de sa maison dans le Gard

Anne Clément en 2000
Photo : André Abbe - 2000

Comédienne, écrivaine, auteure de pièces de théâtre en occitan et en français, elle a marqué le théâtre d’Oc par son talent. Je garde un souvenir ému de la lecture de son texte “Abraham Mazel, prophète camisard”. J’avais eu la chance d’y être invité.

Elle l’avait donnée dans la maison même où vécut Abraham Mazel, au cœur des Cévennes, j’ai oublié le nom du lieu. Mieux vaut peut-être ne pas le donner pour éviter que trop de monde ne s’y rende. Je n’ai pas trouvé l’adresse mail actuelle d’Anne et je n’ai pas pu lui envoyer cette photo.

Plus de lecture à son sujet ? c’est par ici !

2017: "La Mandragoura"

La Mandragoura
Photo : Lou Rodou Nissart

2017. J’ai assisté dans le vieux Nice cet été à une représentation de “La Mandragoura” de Silviano (Sylviane) Mazza interprétée en niçois par Lou Rodou Nissart.

Capelado à l’auteur et à la troupe. Il est de plus en plus rare d’entendre du théâtre en langue d’Oc par des comédiens qui la parlent bien.

2019: le mot de la fin de Bruno Cécillon

Si on finissait sur un sourire? Celui de Bruno Cécillon. Bruno dirige le Théâtre de la Rampe de Montpellier. Cette compagnie compte plus de 7000 représentations publiques à son actif. Cet entretien réalisé par l’équipe Passadoc date de 2019.

Je n’ai jamais passé plus de deux heures d’affilée avec Bruno mais c’est arrivé souvent.
Dans les années 80, nous nous sommes rencontrés une première fois dans les studios de FR3 Marseille
lors de l’ enregistrement de la jeune émission “Vaqui” (je ne sais pas ajouter l’accent aigu sur le I), puis je
l’ai vu souvent jouer au théâtre. Enfin, nous nous sommes retrouvés, au téléphone ou devant les micros
de Radio lenga d’Oc à Montpellier.
Bruno a la chance de faire bien ce qu’il entreprend. Il m’a surpris quand il m’a dit un jour qu’il avait plus
de trente ans quand il a appris l’occitan. J’étais persuadé qu’il tenait la langue de ses grands parents,
tant il la parlait avec aisance.
La dernière fois que je l’ai vu, nous manifestions devant l’Opéra, place de la Comédie, pour demander
une présence accrue de l’occitan à la télévision. Nous attendons toujours.

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