Les “masco” de l’ancienne Provence

Quel Provençal n’a jamais entendu parler des masques, « lei masco », comme on les appelait

Photo André Abbe

Une croyance ancestrale

Aujourd’hui plus personne n’y croit, enfin… je pense. On n’utilise plus cette expression que pour désigner quelqu’un qui « fait la brègue » (la moue), c’est-à-dire qui vous regarde avec de petits yeux méchants. Pourtant nos anciens y croyaient dur comme fer et leur seule évocation suffisait à inquiéter les plus téméraires. La croyance en leur existence était tenace, même jusqu’au XXe siècle.

Pourquoi cette terreur ?

On croyait d’un côté à l’Évangile qui -c’est bien connu- ne pouvait apporter que de bonnes choses et de l’autre aux masco qui elles n’apportaient que mauvais sort, maladies et même la mort. Personne n’y trouvait rien à redire, on vivait avec ces craintes et s’il arrivait qu’on laisse échapper un juron blasphématoire, on ne se serait jamais hasardé à insulter une masco car si Dieu pardonne, la masco, non !
Contrairement à une idée bien ancrée, la masco n’était pas obligatoirement une femme, ce pouvait être un homme. Si par malheur vous étiez emmasqués, vous étiez dans de sales draps ! Les fièvres, les maladies malignes, les insomnies, la douleur à la hanche, la mauvaise récolte et que sais-je encore vous tombaient dessus, vous n’étiez à l’abri de rien !

Les masco pouvaient vous toucher même à travers vos animaux ; ainsi si votre vache vêlait d’un veau mort-né ou si votre coq ne chantait plus le matin, inutile de chercher plus loin, vous étiez à coup sûr emmasqué.

Comment se sortir de ce mauvais pas ?

Surtout ne croyez pas que vous vous en tireriez en allant trouver le médecin, son pouvoir face à celui qui vous a emmasqué pouvait être considéré comme nul. La pharmacopée et la science ne pouvaient rien face aux forces obscures du mal, même M. le curé ne possédait pas les prières salvatrices.

Les bossus, les bancals, les borgnes, et autres infirmes passaient pour être punis d’une faute grave et non seulement ils devaient supporter leur disgrâce physique mais étaient considérés comme des emmascaïre en puissance. On disait d’eux :

« Aqueli que lou boun Diéu marco
Dou diable soun pris en cargo »


« Ceux que Dieu a marqués, sont pris en charge par le diable.. »

Que faire alors ?

Heureusement tout espoir n’était pas perdu, il existait parfois une parade.

Le monde obscur des masco comportait deux types de gens : les « emmascaïre » qui jetaient le sort et les « demascaïre » qui parfois pouvaient le conjurer. En fait, tout dépendait de la puissance de son pouvoir face à celle de l’emmascaïre, une question de rapport de force en quelque sorte. Après que vous lui ayez exposé votre cas, le demascaïre prenait un air grave, se grattait la tête et s’il pensait être à la hauteur, il vous indiquait une recette infaillible qui vous délivrerait du sortilège. Par exemple il préconisait de mettre à cuire un foie dans lequel vous auriez préalablement planté des aiguilles qui seront autant de dards plantés dans le cœur du masco à condition bien sûr que vous fassiez cuire le foie à minuit après avoir tracé devant votre porte les signes cabalistiques indiqués par votre sauveur… Mais il se peut aussi que le demascaïre avoue son impuissance :

« Vous poudi pas démasca. Aquéou que vous a emmasca a maï de poudé que iù. Sérò un’ aùtre, vous démascariou… D’aquéou, pouadi pas… A troou de poude.
(Je ne peux pas vous démasquer. Celui qui vous a emmasqué a plus de pouvoir que moi. Ce serait un autre, je vous démasquerais… De lui, je peux pas… Il a trop de pouvoir.) »

Il ne vous restait alors qu’à solliciter un demascaïre plus puissant, quitte à aller le chercher bien loin.

En conclusion

Nul ne pouvait échapper à un mauvais sort jeté par un masco. Du plus pauvre des chemineaux au notable du coin, tout le monde pouvait être emmasqué. Piètre consolation, c’est une des rares justices qui existait dans la vie d’alors.

Tous égaux face aux masques.

Claude Boyer

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