La Gazette de Passadoc – N° 165

L'hebdo 165

20 mars !

20 mars… et le printemps arrive enfin, car on l’a espéré pendant des mois dans la grisaille de certains jours d’automne ou d’hiver. Comme s’il avait lu le calendrier, le soleil est partout au rendez-vous !

Si mars estoit le premier autrefois chez les Romains – comme le rappelle Antoine Furetière* – la Grèce antique, elle, ne connaît que trois saisons : printemps, été (saison des récoltes) et hiver (mauvaise saison), imparfaitement délimitées ;  à partir du VIIe avant J.-C., apparaît la saison automnale proprement dite.

Ce n’est que sous Charles IX qu’on a commencé en France à compter l’année par le mois de janvier (édit de l’an 1564). Si on avait quelque doute, Richelet** affirme que Mars, c’est la saison de l’année où tout entre en amour, qui suit immédiatement l’hiver et qui commence le vingtunième de mois (Dictionnaire françois publié en 1680).

Quand arrive le printemps, les poètes s’en donnent à cœur joie ! Ainsi Alfred de Musset :
Du pauvre mois de mars il ne faut pas médire ;
Bien que le laboureur le craigne justement,
L’univers y renaît ; il est vrai que le vent,
La pluie et le soleil s’y disputent l’empire.
Qu’y faire ? Au temps des fleurs, le monde est un enfant ;
C’est sa première larme et son premier sourire.

Hugo dans un poème intitulé Printemps écrit :
Il semble que tout rit, et que les arbres verts
Sont joyeux d’être ensemble et se disent des vers.

Sous quel arbre s’abrite Théophile Gauthier lorsqu’il s’étonne :
Regardez les branches
Comme elles sont blanches !
Il neige des fleurs.

Quant au délicieux Maurice Carême – le poète préféré des écoliers – il part en balade :
Cheveux au vent
Tambour battant,
Allons‐nous‐en,
À la rencontre du printemps.

Impossible d’oublier Brassens !
Car le cœur à vingt ans se pose où l’œil se pose,
Le premier cotillon venu vous en impose,
La plus humble bergère est un morceau de roi.
Ça manquait de marquise, on connut la soubrette,
Faute de fleur de lys on eut la pâquerette,
Au printemps Cupidon fait flèche de tout bois…

Ne manque plus qu’une chanson…

Jeanne Monin

 

Photo JM

* Antoine Furetière, lexicologue – 1619/1688. Trois siècles après sa publication de son dictionnaire maintes fois réédité fait toujours référence… Le Furetière l’appelle-t-on communément, comme on dit Le Larousse ou Le Robert.
** César-Pierre Richelet, grammairien et lexicographe – 1626-1698.

  • Les échos de la semaine
    Les paniers d’osier
    Petit tour au marché
    Le baiser de l’Hôtel de Ville
    Sur le canal du Midi
    Vous aimez le rosé ?
    Sur une route du Tarn
    Les moulins de Neshtafan

     

  • Passadoc

Les paniers d'osier

Photo André Abbe - Rigaud (Alpes Maritimes) -1995

Pour réaliser un panier en osier, il faut … de l’osier ! des outils… et beaucoup de savoir-faire. Ceux-là sont magnifiques !

Claude Boyer
Quand j’étais enfant, nous allions chez un ami de mes parents à Tetto Bandito, un hameau en Italie, après Roccavione sur la route des thermes di Valdieri, il était vannier. J’étais admiratif devant sa dextérité. 

Dans sa cour séchait l’osier qu’il allait lui-même récolter avec son cyclomoteur et sa petite remorque. Il vivait dans une pièce unique encombrée de ses créations qu’il vendait sur les marchés de la région où il allait toujours avec sa remorque chargée de paniers, huches pour le pain, coupes à fruits, dessous-de-plats. 

Son empilage tenait par miracle à grand renfort de ficelles. Il a continué son activité jusqu’à son décès, à plus de 80 ans. Je l’aimais bien le signore Carlo… quand on allait le voir il préparait une polenta car j’aimais ça !

Marie-Dominique Germain
Des paniers à pommes de terre… chaque année j’en achetais à la kermesse
du curé de Saint-Étienne-de-Tinée début août. Que de souvenirs !

Et des Passadociens s’interrogent : qui est donc ce vannier ?
Dalies Gues
– Je crois que c’est Mer Dautier…
Jean-michel Guibert :
– Victor Champoussin, je pense.

Petit tour au marché

François Abbe
On revient au marché ! Et plus précisément, sur celui de Le Beausset, dans le Var.
 
Christiane Thomas (Roquebrune) expliquait que fin 19e siècle :
– Avec l’arrivée du prêt à porter, c’était la fin des costumes provençaux.
En d’autres lieux, ce ne fut pas le cas.
 
Myriam Quiniou – journaliste bretonne qui est venue immortaliser la conférence Femmes de Provence” au Musée des Arts et Traditions Populaires de Draguignan – nous donnait la différence : sa grand-mère bigouden avait un seul costume qu’elle portait tous les jours de l’année…
Photo André Abbe - 1979

Le baiser de l'Hôtel de Ville

Photo André Abbe
Le baiser de l’Hôtel de Ville… célèbre photo de Robert Doisneau.
 
Trouvant les amoureux charmants, Doiseau leur offre 500 francs pour reprendre la pose devant son objectif. La jeune femme, c’est Françoise Bornet qui tentera une carrière d’actrice et donnera la réplique à quelques grands du cinéma (Gabin, Fernandel, …) sans jamais percer dans le métier. Elle est décédée récemment (décembre 2023), à l’âge de 93 ans.
 
À Passadoc – association reconnue d’intérêt général depuis presque 5 ans – on fait de l’anti-Doisneau ! Ici, c’est le patrimoine authentique qui nous intéresse. Le président et co-fondateur de Passadoc, André Abbe, dispose de 100 000 photos. Facile d’alimenter la page Passadoc !
 
En ces temps parfois difficiles, les souvenirs sont un puissant remède. “Passadoc, mieux que les médocs !” dit notre ami Claude Boyer.
 

Sur le canal du Midi

Photo André Abbe

François Abbe
Des enfants prennent leur petit-déjeuner sur une barge flottant sur le pittoresque canal du Midi. Cette voie navigable emblématique, qui s’étend de l’ouest de la Provence vers l’Espagne, offre un cadre serein.

Le Canal du Midi est toujours plein de charme. Même 44 ans après la prise de cette photo, les enfants profitent toujours des croisières en bateau sur le canal, un bonheur intemporel.

Jean Yves Dumay
Malheureusement les majestueux platanes ne sont plus là pour ombrager le canal… un champignon les a attaqués et pour la majorité ils ont été coupés ! Sur le canal latéral de la Garonne ils sont encore présents.

Vous aimez le rosé ?


Vous aimez le rosé ?
Sur la table de l’apéro de la foire de Roquebrune-sur-Argens (Var) en 1984, pas de rosé ! Où était-il passé ?
 
Aujourd’hui, 89% des vins AOC Côte de Provence produits sont des… rosés ! Cette info vient du site “Vin Œnologie”. Ça me paraît un peu élevé…
Photo André Abbe

Jean-Philippe Tinois
C’est tellement compliqué à faire maintenant le rosé, cueilli le matin ou plutôt la nuit, dans des cuves réfrigérées, maintenu sous atmosphère d’azote, fermenté avec des levures standardisés autres que celles qui sont sur les grappes au naturel, fermentation stoppée par les sulfites que les plus consciencieux utilisent au minimum.

Je me demande si on peut encore penser que cela représente un produit issu d’un processus naturel. Cela dit qu’importe la fabrication pourvu qu’on ait l’ivresse !

Dañiel Olivier
À la debuta deis annadas 80s, èran lei roges qu’èran produchs a mai de 80% en Còstas de Provença…
[Au début des années 1980s c’était encore plus de 80% de rouge qui étaient produits dans l’AOC…]
 
Giselle Penat-Laborde
Le vin rosé… un peu d’histoire …
 
La Mésopotamie fut le berceau du vin rosé quelque 3000 ans avant Jésus-Christ. Mais c’est l’évocation de Dionysos, par les Grecs anciens, qui fait état d’une pratique consistant à mélanger l’eau et le vin.
 
Ce sont les Grecs (un petit clin d’œil, en passant, à mes ancêtres, les Phocéens qui fondèrent Massalia/Marseille !) qui ont apporté la vigne dans le sud de la France, en colonisant la côte méditerranéenne 600 ans avant notre ère.
 
Le vin que les Grecs produisaient à l’époque était très clair : les raisins étaient foulés, le jus recueilli était mis à fermenter immédiatement sans que le moût reste en contact avec le jus. L’étape dite de cuvaison n’était pas réalisée et le vin ne pouvait pas être bien coloré. C’était donc un vin clair, auquel on ajoutait fréquemment de la résine, des épices, voire du miel pour le “stabiliser”. Difficile alors de définir sa couleur. La fabrication du vin était bien loin de la vinification pratiquée aujourd’hui par nos viticulteurs !
 
Pas de révolution dans l’art de la fabrication du vin avec l’arrivée des Romains : avec le développement de l’empire romain, la culture du vin va s’étendre au bassin méditerranéen mais aussi en Gaule jusque dans des zones reculées. La vinification pratiquée se faisait sur des raisins noirs mais sans cuvaison donc un foulage et une fermentation sans moût. On peut dire qu’on faisait du rosé sans le savoir, mais surtout sans en maîtriser la couleur !
 
Au Moyen Âge, l’Église va perpétuer cette culture et va la commercialiser. C’est alors toute l’Europe qui va développer cette culture puisque les différents ordres religieux utilisent ce vin clair qui va être connu sous le nom de claret, puis clairet.
 
Au XIIIe siècle, les vignerons bordelais vont commercer avec les pays nordiques ainsi qu’avec l’Angleterre. La grande majorité du vin produit était du clairet, un vin se situant entre le rouge et le rosé, car il y avait tout de même un peu de rouge produit grâce à une macération plus longue. Les Anglais en raffolent.
 
C’est probablement un Irlandais, Jofroi de Waterford qui cite le terme de vin rosé pour la première fois, vers l’an 1300.
 
Le clairet est donc le vin le plus utilisé, sa production augmente au XVIIe siècle. Il est très apprécié non seulement en Angleterre, mais dans toute l’Europe du Nord. Les nombreux peintres hollandais vont représenter des carafes et des verres qui contiennent la plupart du temps du vin clair.
 
La vinification utilisée est la saignée c’est-à-dire une macération courte. Puis il faut extraire une partie du moût qui va servir pour vinifier du vin rouge. Les éléments taniques et colorants ne restent donc pas longtemps en contact avec le jus et c’est pourquoi le vin est clair. Il se pratiquait aussi parfois un mélange de raisins blancs et noirs.
 
Il semblerait que la consommation de vin clairet représente à cette époque environ 80 % du vin consommé.
 
Le terme de vin rosé n’apparaît toutefois dans le dictionnaire français qu’en 1680. En 1682 est produit dans le vignoble d’Argenteuil un vin rosé destiné à la cour de Louis XIV. D’autres régions vont emboiter le pas.
 
Mais c’est aussi à cette même époque que la demande de vin s’oriente vers un vin plus coloré et plus tanique. Le vin rouge existait déjà. 
 
Il était plus destiné aux travailleurs manuels qui avaient besoin de force pour travailler. Ils vont être appelés des vins noirs ou vermeils puis rouges.
 
Le vin clair va laisser la place au vin rouge à partir du XVIIIe siècle.
 
L’attaque du phylloxera va entraîner aussi le développement de cépages très colorés. Le vin rosé ne va plus représenter que 10 % du marché du vin.
 
Quant à la Provence, il faudra attendre le XXe siècle, les congés payés, les touristes et l’envie de s’hydrater avec des vins plus légers pour que le rosé s’y développe à nouveau. Cela se fit d’ailleurs par étapes, car jusque dans les années 80/90, le rosé avait surtout la réputation de provoquer des maux de tête et des aigreurs d’estomac.
 
Pendant longtemps, les vins de Provence n’étaient pas franchement une réussite, (un vin qui ne voyageait pas ou très mal, disait-on !) mais le travail et la volonté des vignerons ont permis de produire progressivement des vins rosés de plus en plus qualitatifs.
 
De nouveaux cépages, de nouvelles méthodes de vinification, plus exigeantes et plus techniques, permettent d’améliorer le vin, tandis que les modes de conservation permettent de le stocker plus longtemps, et même de l’exporter, sans qu’il ne perde en qualité. D’où l’essor assez foudroyant et le succès croissant connu par nos rosés.
 
À la fin du XIXe siècle, le terme “Côtes de Provence” est créé.
 
Il faut attendre 1951 pour que des experts tracent le contour du territoire des Côtes de Provence. L’appellation AOC Côtes de Provence est définie par décret en 1977. Elle est répartie sur 3 départements : les Bouches-du-Rhône, le Var et une incursion dans les Alpes Maritimes.
 
Les Côtes-de-Provence représentent aujourd’hui près de 20 000 ha, près d’1 million d’hectolitres, 133 millions d’équivalent bouteilles et 500 entreprises (372 domaines, 38 coopératives, une centaine de négoces) produisant près de 90% de rosé.
 
Elles étaient 43 communes en 1951 reconnues en VDQS (vins de qualité supérieure), 84 en 77 (et 3000 vignerons), quand l’appellation devient AOC et bientôt une centaine après la révision de l’aire géographique qui devrait classer 13 à 17 communes notamment vers Toulon, Marseille, La Gardanne, Fayence… Restera ensuite à affiner avec la sélection parcellaire…
 
 
Maelström de flashbacks, de souvenirs de lecture, traductions latines, histoire du vin à travers les âges, revues viticoles, histoire familiale, visites de vignobles divers et variés, documentaires TV, etc.
 
Plein de trucs entassés sur le disque dur et dans le “cloud”, qui sont remontés à la surface !
 
J’ai toujours été intéressée par le vin, comment bien marier les vins et les plats, sans être une spécialiste, même si à bonne école avec Guy et Claude, et je n’en bois plus depuis longtemps.
 
Mon grand-père paternel faisait son vin dans les années 1935/40 avant de pouvoir rentrer à la coopérative de Roquebrune-sur-Argens. Ce qui devait être une affreuse piquette, certainement du bon gros rouge décapant, qui n’avait cependant pas empoisonné les troupes d’occupation allemande, lors de leur razzia sur la cave …
 
 
 

Sur une route du Tarn

Photo André Abbe
André Abbe
La géographie, l’histoire, l’administration républicaine, obligent les administrés à faire des choix.
Je suis provençal, varois, français ; je dois être azuréen… pas sûr… car je n’ai jamais pu savoir où commençait la Côte d’Azur. 

Je peux être aussi “pacanien” et même “sudiste” puisque notre région porte désormais le nom ridicule de “Sud”.
Les habitants de Laval-du-Tarn, en occitan La Val de Tarn, se sentent-ils d’abord Lozériens, Gévaudanais ou Sauveterriens avant d’être Français, Occitans après avoir été Languedociens ?
Lors de mon dernier passage à Laval (photo), le village était traversé par un troupeau de moutons… et une route nationale. Aujourd’hui la route est devenue départementale, j’espère que les moutons sont toujours là !

Les moulins de Neshtafan

Photo André Abbe

André Abbe
Alphonse Daudet avait étalé la publication des nouvelles constituant ses Lettres de mon moulin sur une quinzaine d’années. En 1873 avait lieu la plus importante publication dans la presse parisienne.  2024… 1873… plus de 150 ans déjà !

Sautons dans un passé un peu moins lointain avec cette une photo prise en 1969 : des moulins bien différents de celui de Daudet. Les ailes du moulin de Fontvieille tournent autour d’un axe horizontal, celles des moulins de Neshtafan, dans le Khorassan, tournent autour d’un axe vertical.

Je suis très attaché à cette photo, une des rares prises en Iran qu’il me reste. L’UNESCO m’en avait acheté quelques-unes mais la plupart ont été perdues par la poste ou conservées par des personnes à qui j’avais eu l’imprudence de les confier.

Je n’avais pas demandé aux trois enfants sur leur âne de venir poser pour moi. Ils se trouvaient là au moment où nous arrivions devant les moulins alignés sur les hauts de Neshtafan, non loin de la frontière afghane.

 

Jeanne Monin
Puisque André évoque Daudet, arrêtons-nous sur un récit qui figure dans certaines éditions des Lettres de mon moulin : Les sauterelles.
L’écrivain raconte :

Encore un souvenir d’Algérie, et puis nous reviendrons au Moulin…
 
La nuit de mon arrivée dans cette ferme du Sahel, je ne pouvais pas dormir. Le pays nouveau, l’agitation du voyage, les aboiements des chacals, puis une chaleur énervante, oppressante, un étouffement complet, comme si les mailles de la moustiquaire n’avaient pas laissé passer un souffle d’air… Quand j’ouvris ma fenêtre, au petit jour, une brume d’été lourde, lentement remuée, frangée aux bords de noir et de rose, flottait dans l’air comme un nuage de poudre sur un champ de bataille.
 
“Bataille”… C’en est une… dans la journée, l’ennemi arrive et le combat va s’engager…
 
Tout à coup, à la porte-fenêtre fermée pour nous garantir de la chaleur du jardin en fournaise, de grands cris retentirent : « Les criquets ! les criquets ! »
[…]
À perte de vue, les champs étaient couverts de criquets, de criquets énormes, gros comme le doigt.
Alors le massacre commença.
 
[… dernier paragraphe ]
Le lendemain, quand j’ouvris ma fenêtre comme la veille, les sauterelles étaient parties ; mais quelle ruine elles avaient laissée derrière elles ! Plus une fleur, plus un brin d’herbe : tout était noir, rongé, calciné.

François Abbe
Nous avons une nouvelle invitée, c’est Gwendolyn, qui nous rejoint depuis l’Afrique du Sud ! Elle est bénévole pour notre association (Abbe Photo, à but non lucratif) avec une mission particulière : partager certaines des photos et vidéos préférées capturées par mon père, André Abbe !

Si, vous aussi, vous avez des textes, des photos à partager, c’est facile !

  • Sont cités dans La Gazette :
    André Abbe
    François Abbe
    Claude Boyer
    Jean Yves Dumay
    Marie-Dominique Guibert
    Jeanne Monin
    Dañiel Olivier
    Giselle Penat-Laborde

  • Rédactrice en chef
    Jeanne Monin

Passadoc