
L'hebdo 140
La bugadière…
[Photo – Les draps sèchent sur les pierres chaudes de soleil.]
La bugadière… la lavandière, la buandière… autrement dit, la femme qui fait la lessive.
Petit arrêt dans les pages du Dictionnaire Historique de la Langue Française (A. Rey) :
– buée : issu du gallo-roman “bucata” → lessive
[voilà qu’apparaît la buandière…]
auquel remonte également “bugada” → ancien provençal
[entrée en scène de la bugadière !]
Pour “lavandière”, les dictionnaires sont tous d’accord pour : femme qui lave le linge.
Cependant, sur un autre site valorisant le patrimoine “Dordogne-Périgord”, on lit que “bugado” est issu du celte “bugat” → lessive.
Pour que la paix continue à régner sur Passadoc, disons que les mots sont comme les touristes : ils voyagent !
Mais depuis quand fait-on la lessive ? Depuis que les humains ont abandonné les peaux de bêtes – qu’ils jetaient lorsqu’elles commençaient à pourrir – pour se vêtir d’habits de tissu.
On lave les vêtements à l’eau claire car point de détergent ! On chasse la saleté en les foulant à la main, au pied, en les tapant contre de grosses pierres.
Au XIIe siècle, on ne lave le gros linge qu’une fois par an, après les fêtes de Pâques ; c’est jour de grande buée qui peut compter des dizaines de draps… tout au moins dans les familles fortunées – d’où l’importance du trousseau des jeunes filles à marier. On ajoute torchons, gros tabliers et chemises de travail portées pendant des semaines et taillées dans du coton épais.
Au XIIIe, deux grandes buées : au printemps et à l’automne.
Chaque semaine – souvent le lundi – ont lieu les petites lessives, les “petites buées”, pour les pièces de linge plus délicat.
On lave chez soi ou bien à la rivière… Tâche harassante… Genoux coincés dans la caisse à laver ou le cabasson (petit confort pour se protéger de l’humidité de la terre), reins cassés sur la rivière, bras plongés dans l’eau qui même en été glace les mains et fripe les doigts, la lavandière brosse chaque pièce de linge, chasse l’eau à grands coups de battoir avant un dernier rinçage dans la rivière.
Laissons passer le temps et retrouvons les femmes près du lavoir. Ce n’est pas vraiment jour de fête car le travail est quasi le même et tout aussi fatigant, mais c’est l’occasion d’échanger les nouvelles, de commérer un peu, de potiner un brin !
C’est ici, du matin au soir,
Que par la langue et le battoir
On lessive toute la ville.
On parle haut, on tape fort,
Le battoir bat, la langue mord !
Pour être une laveuse habile,
Il faut prouver devant témoins
Que le battoir est très agile,
Que la langue ne l’est pas moins.
Achille Millien (1838-1927) – Poète et folkloriste, né à Beaumont-la-Ferrière (Nièvre)
Le savon est employé depuis longtemps ; pourtant, on utilise encore la cendre : riche en sels de potasse, elle constitue un excellent détachant à condition d’être composée de fougères et de bois de fruitiers, surtout pas de bois de châtaignier ou de chêne trop riches en tanin.
Dans Journal à rebours, paru en 1941, Colette raconte :
– […] tu as encore jeté une pelure de châtaigne dans la cheminée.
– Non, maman.
– Si, ma fille.
Et Sido, ma mère, brandissait au bout des pincettes, sous mon nez […] le corps du délit.
– Mes cendres ! Souiller mes précieuses cendres de pommier, de peuplier et d’orme ! Et la lessive, alors?
Des cendres qu’utiliserait la femme-de-lessive : “À intervalles réguliers, [elle] versait, sur le lit de cendres, un broc d’eau bouillante.“
– Et notre bugadière à nous, elle arrive quand ?
Patience… la voici !
Jeanne Monin
Recherches sur de nombreux sites.


- Les échos de la semaine
Deux récits :
Demain je fais blanchir
J’ai des souvenir
Les poteries des Moustiers
La Provence
Sur le port
La Sieste
L’automne - Passadoc
Jean-Pierre Violino
Écrivez-nous !
Deux beaux récits comme on aimerait en lire plus souvent ici…
Merci aux auteurs !
Demain je fais blanchir - Claude Boyer
J’étais heureux quand mémé disait “Demain je fais blanchir“.
Premièrement, j’avais le cadeau Bonux et deuxièmement je pouvais jouer avec les allumettes car c’était à moi qu’était dévolue la lourde responsabilité d’allumer le feu. Je plaçais une pomme de pin sous la lessiveuse en prenant soin d’en laisser poindre un petit bout afin de passer la flamme, puis je la recouvrais de petit bois et enfin j’allumais. Quand le feu avait bien pris, je mettais des bûches plus grosses que pépé avait fendues. Ensuite j’aidais mémé à remuer le linge dans l’eau bouillante avec un long bâton tandis qu’elle chantonnait en provençal :
Tante Trebaudo, que fas damoun dau ? couali la bugado et mi caoufe oun paou…
(Tante Thérèse que fais-tu là-haut ? je coule la lessive et je me chauffe un peu…)
vieille comptine de son enfance dont je ne me souviens plus très bien la suite. Il y était question d’un rat qui lui avait mordu le doigt puis elle s’était retournée et lui avait envoyé un coup pour le chasser ; une histoire sans queue ni tête comme toutes les comptines d’antan… (je m’excuse auprès des puristes pour l’orthographe de mon provençal)
Ensuite elle battait le linge à l’aide d’un gros battoir de bois, le rinçait abondamment avec l’eau que je pompais dans le puits grâce à la pompe Japy puis l’étalait sur le pré voisin pour qu’il sèche sous le beau soleil de Provence…
Mon autre mémé qui habitait le village et qui n’avait pas non plus de lave-linge faisait sa “petite lessive” en faisant chauffer l’eau sur la cuisinière à bois. Cependant quand il lui fallait faire bouillir les draps ou les salopettes de pépé qui était peintre en bâtiment, elle profitait du jour de lessive pour venir à la campagne avec sa brouette chargée de linge.
Là j’étais encore plus heureux, j’avais deux paquets de Bonux à ouvrir car bien sûr mes mémés n’achetaient que cette marque pour que j’aie les cadeaux. Je la voyais arriver trotte-menue avec son monticule de linge derrière lequel elle disparaissait tellement elle était petite. Petite mais vigoureuse, sèche et noueuse comme un cep de vigne, elle était de ces anciens élevés au lait de chèvre, qui dès dix ans fréquentaient les travaux de la ferme plus que les bancs de la communale.
J’allais à sa rencontre, lui prenais la brouette des mains et finissais le chemin, fier comme un coq de lui venir en aide. Invariablement elle me disait :
– Sies ben bravet pitchoun de veni mi adjuda.
(Tu es bien gentil petit de venir m’aider)
…et en plus du cadeau Bonux, elle sortait de la poche de son tablier une sucette au caramel Pierrot Gourmand ou quelque autre friandise qu’elle avait achetée à la boulangerie du village en prenant son pain.
Toutes à leurs lessives, elles discutaient en provençal, mémé du village racontant les derniers potins à mémé de la campagne qui ne “montait en ville”, pourtant distante d’un seul petit kilomètre, qu’une ou deux fois l’an pour aller à la foire de la place Armand Fallières ou à la fête de la Saint-Jacques où elle s’offrait un chichi frégi, son seul luxe annuel.
J’écoutais leurs discussions mais sans jamais m’en mêler ; d’une part à l’époque il n’était pas de mise qu’un enfant se mêlât d’une conversation d’adultes et d’autre part je ne comprenais pas de qui ni de quoi elles parlaient. Sauf d’une discussion qui me reste en mémoire, qui m’a longtemps interpellé et qui a fini par une admonestation maternelle injustifiée.
Un jour mémé du village dit :
– Oh vous savez pas, Mme Unetelle est enceinte !
– Moun Diou, pas possible… à son âge ?
– Eh bè oui, quand elle l’a appris elle était catastrophée la pauvre. Il paraît que le docteur lui a proposé de le faire partir mais elle a pas voulu. Elle a dit tant pis, ce serait un crime alors je le garde
(Bien évidemment, Mme Veil n’était pas encore montée à la tribune.)
– Mais alors ça lui en fait quatre. Et combien ça fera de différence avec l’aîné ?
– Eh bien au moins vingt ans, il vient de partir soldat .
– Bon, c’est déjà ça, ils seront toujours que trois à la maison et les deux filles sont grandettes, elles pourront l’aider à s’occuper du pitchoun.
– Oh ça c’est pas le problème mais c’est surtout que ça fait une bouche de plus.
– Oui mais vu que l’aîné est soldat…
– Vous avez raison.
Tout ça en provençal que je serais bien en peine de vous écrire mais que je comprends fort bien.
J’étais tout ouïe dans mon coin jouant avec mes cadeaux Bonux, ne perdant pas une miette de la discussion et je me demandais comment Mme Unetelle que je connaissais pouvait être en Sainte. Je voyais une femme forte, la taille entourée du tablier traditionnel, le fichu sur la tête, les grosses mains boudinées, une fine moustache barrant sa lèvre supérieure.
Je suis d’une famille de mécréants, je n’ai fréquenté ni les fonds baptismaux ni le catéchisme mais j’avais eu l’occasion de rentrer quelquefois dans l’église et j’avais vu la statue de la Sainte Vierge, belle, élancée, coiffée d’un voile blanc qui tombait sur une jolie robe bleue mais qui ne ressemblait en rien à Mme Unetelle.
J’en restais là de mes réflexions mais le mystère me taraudait. Un jour n’y tenant plus je demandais tout à trac à ma mère :
– M’man, ça veut dire quoi qu’une femme elle est en Sainte ?
Que n’avais-je pas demandé là ?
– Mais où tu as entendu ça ? C’est des bêtises, il faut plus en parler !
Je me recroquevillais sur ma chaise et me tins coi me demandant quelle grossièreté j’avais bien pu dire pour me valoir les foudres maternelles.
J’ai eu les meilleurs parents dont on puisse rêver. Mon père était autoritaire, sévère mais juste, il n’y a jamais eu la moindre violence à la maison, ma mère était de ces femmes des années 60, mère poule tenant admirablement son foyer. Je souhaite à tous les enfants du monde d’avoir les mêmes parents mais avec le recul je dois admettre qu’ils étaient quelque peu coincés sur certains sujets.
Il m’a fallu encore deux ou trois ans pour faire la différence entre une femme enceinte et la Sainte de l’église. Rétrospectivement j’ai eu une pensée émue pour ma mère que j’avais choquée ce jour-là. Assurément cette histoire ferait rire un gamin de huit ans d’aujourd’hui mais à l’époque nous n’avions pas les réseaux sociaux, Internet et autres Tik-Tok pour nous éveiller. Celà dit, au risque de passer pour un passéiste, je me demande si ce n’était pas mieux car au moins nous avons vécu une enfance avant “d’avaler la première arête” de la vie.
C’est sur cette phrase de mon cher Georges Brassens que je termine ce récit qui je l’espère vous aura amusés.
Les parents et les grands parents sont partis, le lavoir a été détruit, le puits bouché et un hideux immeuble a remplacé les draps sur le pré. Maintenant c’est moi le grand-père mais ces anecdotes qui remontent à presque soixante ans sont encore très nettes dans ma mémoire. C’étaient les jours heureux….

Madame Augusta Escoffier née Brunel et sa mère Claire Brunel retournaient
au printemps laver leur linge dans l’eau de la Maurette.
J'ai des souvenirs... Giselle Penat-Laborde
J’ai des souvenirs de ces jours consacrés à la “bugade”. Une vraie expédition.
Ma grand-mère maternelle allait régulièrement laver à la Maurette – Roquebrune-sur-Argens. Les corbeilles étaient chargées, pleines à craquer sur la brouette, ou dans la super roulotte, qu’on fixait au vélo, menaçant à chaque instant de basculer. Souvent mon grand-père chargeait le tout sur sa camionnette avec les bugadières du quartier. Les accessoires incontournables : planches à laver, battoirs, brosses en chiendent, les grosses pièces de savon de Marseille. Et c’était parti pour une journée bien remplie, riche en papotages.
Le linge était, oui, étendu “au serein”, expression que j’ai souvent entendue dans mon enfance.
Ma grand-mère était aussi une familière du lavoir municipal à Roquebrune.
– On lave le linge et on salit les gens.
Manière amusante d’illustrer la fonction sociale du lavoir comme lieu de bavardages et de rires.
J’ai le souvenir d’avoir parfois accompagné, durant ma prime enfance, maman qui n’allait pas laver à la Maurette mais au ruisseau près de ce qui fut le stade de Roquebrune, sur le “pouvadou” de la famille Chaillan.
Le plus souvent elle lavait à la maison. Il y avait une grande buanderie en sous-sol, avec des bassins, un coin avec une cheminée, dans laquelle on mettait sur un trépied la fameuse lessiveuse avec champignon pour faire bouillir le linge.
Mon grand-père avait tout prévu quand il avait fait construire la maison familiale dans les années 30. Je pense qu’il avait dû installer cette buanderie fort pratique à l’époque sur les conseils et ordres de ma grand-mère mais surtout sur l’avis éclairé des cousines lavandières professionnelles, qui ouvrirent d’ailleurs la première laverie-blanchisserie à Cannes, fin XIXe début XXe, en activité jusque fin des années 90, toute une lignée de bugadières …
Pour l’étendage, des fils en acier installés solidement dans le jardin et des cordes aussi dans une dépendance aérée mais à l’abri des intempéries.
On réservait toujours un coin d’herbe pour étendre le linge “au serein” et ce aussi lors des nuits de pleine lune, avec quelques mauvaises surprises lors de lâchers imprévus de bombes par quelques oiseaux de passage ou encore, plus sympa, les empreintes et traces des coussinets de nos minous et tout était à recommencer … la pratique fut assez vite abandonnée …
J’ai le souvenir des odeurs de savon de Marseille, de la cendre aussi puisqu’on utilisait encore souvent les cendres de bois pour la lessive. Le linge sur les fils qui claquait dans le vent … du linge qui sentait bon le propre, d’où mes “tocs” à préparer souvent encore ma propre lessive au savon de Marseille et mon adoucissant fait maison, ce déjà bien avant que ne souffle “le vent écolo”…

Les poteries de Moustiers
Tout visiteur est impressionné par le site du village de Moustiers dominé par une longue chaîne qui relie deux blocs rocheux, avec une étoile en son milieu. Les premières faïences datent du 17e siècle, leur production s’est rapidement accrue mais au 19e siècle tout s’est arrêté. Il a fallu qu’un passionné – Marcel Provence – la relance en 1925. Aujourd’hui cette industrie est devenue un artisanat d’art… je n’aime pas beaucoup ce nom mais je n’en trouve pas d’autre.

La Provence !...
Un peu de l’âme occitane… un tambourinaire… le son du galoubet…
et c’est toute la Provence ! Écoutez !
Sur le port...

Et comme dit Claude Boyer :
– Avec toutes ces senteurs, comment ne pas évoquer la chanson de Gilbert Bécaud !
♫♪♪♫♪ Voici pour cent francs du thym de la garrigue,
Un peu de safran et un kilo de figues,
Voulez-vous, pas vrai, un beau plateau de pêches
Ou bien d’abricots ?
Le joli poisson de la Marie-Charlotte
Voulez-vous, pas vrai, un bouquet de lavande
Ou bien quelques œillets ?
L’accent qui se promène et qui n’en finit pas ♪♪♫♪♫♫♫

La sieste
“En Provence, le soleil se lève deux fois, le matin et après la sieste” !

– Quand j’étais gamin, au plus fort de l’été, quand le soleil était au zénith après le repas de midi la sieste était obligatoire et pas question d’y déroger. J’avais l’impression qu’on amputait mes vacances d’une partie de mon temps de jeux enfantins.
L'automne...

Chaque année en automne, je présente une photo marquant l’entrée de la saison.
Il est bien évident que connaître le latin est plus bénéfique que la pratique de toute autre langue pour écrire un français correct. Mais qui se soucie d’écrire français aujourd’hui ?
Voici ma photo préférée de l’arrivée de l’automne.


Jean-Pierre Violino
– La modernisation dans les Alpes maritimes au 19e siècle.

Écrivez-nous !
Partagez vos souvenirs d’enfance, racontez la vie de votre village au temps de vos grands-parents… racontez un voyage, un paysage…
Et qu’elles soient d’hier ou d’aujourd’hui, apportez vos photos !


- Rédaction Passadoc – Ont participé :
André Abbe
François Abbe
Claude Boyer
Maryse Laugier
Jeanne Monin
Giselle Penat-Laborde - Mise en page
Jeanne Monin