La Gazette de Passadoc – N° 101

Sang et or
Nové sensa luna…
À propos du broussin

Lou cacho fio
Ulysse… Phébus… Le Vizir…
Allée du XVe Corps d’Armée
Le Mont Vinaigre
La bugadière
Transhumance

La bibliothèque de Passadoc

Photo et texte André Abbe

25 DÉCEMBRE ! Joyeux Noël à Vous Tous !

En français, c’est vite dit ! Dans les pays d’Oc, c’est une autre affaire.

  • Mes voisins niçois fêtent “Calena” ou “Calèna”, j’ai vu les deux orthographes.
  • Mes amis languedociens fêtent “Nadal”… je suppose qu’un ancêtre du joueur de tennis Rafael Nadal, originaire de Majorque, devait lui aussi être né le jour de Noël.
  • En Provence rhodanienne, c’est “Nouvé” et en Provence maritime, c’est “Nouvè” (ou Novè selon la graphie qu’on utilise)… Minuscule différence !

Au passage, je précise que le pêcheur d’anchois Calendal, le héros du magnifique poème de Frédéric Mistral porte ce nom parce qu’il est né le jour de Noël.

Sang et or...

 
Je retrouve cette photo de 1989, au moment de la pose du drapeau provençal au-dessus de la porte d’entrée de ma bastide. J’avais oublié que mon copain Denis, dans un grand élan de générosité, avait mis une cinquième bande couleur sang sur ce drapeau. L’erreur avait été corrigée, il n’en reste que quatre.
 
 

Mais au fait, savez-vous à quoi correspondent ces bandes couleur sang ?

La Provence possède deux drapeaux qui descendent des blasons des deux familles de comtes qui gouvernèrent la région au Moyen Âge.

Le drapeau provençal à bandes “sang et or” (en héraldique, on dit or aux quatre pals rouges) est celui de Catalogne dont Raimond-Berenger III, comte de Barcelone, obtint la Provence par mariage en 1125.
 
L’origine – mythique – de ces couleurs remonte à un compagnon de Charlemagne : grièvement blessé lors d’une bataille et sentant venir sa fin prochaine, il caressa de ses doigts ensanglantés son écu doré.
Drapeau et Bastide
Photo André Abbe - Texte A. Abbe et Claude Boyer.

Novè sensa luna, de tres cabras te ne'n resta una...

André Abbe raconte :
 
Si vous avez des chèvres, le soir de Noël, regardez bien les cieux…
 
Les paysans et les bergers d’autrefois scrutaient le ciel avec beaucoup d’attention, de jour comme de nuit. Certains prévoyaient le temps en se trompant rarement. Mais l’observation du ciel conduisait parfois à de curieux présages.
 
Mon ami Clément m’affirmait qu’il en existait un qui ne manquait jamais de se réaliser, qu’il l’avait lui-même constaté plusieurs fois : Novè sensa luna, de tres cabras te ne’n resta una [La nuit de Noël sans que la lune puisse apparaître, de trois chèvres, il ne t’en restera qu’une]. L’année suivante sera mauvaise, mèfi.
 
Autrefois tous les bergers mais aussi les paysans du bas pays avaient des chèvres. Au moins deux par famille, pour disposer de lait, pour faire du fromage (et j’ajoute du broussin).
 
Les plus superstitieux d’entre eux ne dormaient guère pendant la nuit de Noël quand le ciel était nuageux.
 

À propos du broussin.

XIXe siècle… La peste – à moins que ce ne soit le choléra – fait des ravages à Châteaudouble (village du Var qui fit l’objet d’une prophétie de Nostradamus).

Les morts sont nombreux, les malades plus encore ; à part les frictions vinaigrées et le bouillon de légumes, le bon docteur n’a que des paroles de réconfort à prodiguer à ses patients ; ainsi à ce pauvre homme :

– Docteur… je vais mourir n’est-ce pas…
– Hélas mon ami…
– Avant de partir, je voudrais manger une dernière fois un peu de broussin de notre pays.
– Je n’y vois pas d’inconvénient !

Et le médecin lui-même lui prépara une belle tranche de pain qu’il tartina de fromage. Le moribond s’en délecta… et s’endormit.
Le lendemain, il semblait aller un peu mieux… L’appétit lui revint et il avala la totalité du pot de vieux broussin. Quelques jours plus tard, il était sur pied et tiré d’affaires !

Certains crièrent au miracle ! Le bon docteur s’interrogea :
Miracle… ou fromage ? 
mais il se garda bien de prendre partie !

Il n’était plus de ce monde quand en septembre 1928, Alexander Fleming découvrit dans ses boîtes de Petri des souches contaminées par un champignon microscopique… une moisissure telle que celle que l’on trouve sur bien des fromages, y compris le broussin !

Recherches : Villages de caractèresJeanne Monin

 

Lou cacho fio

Claude Boyer
 
Une des plus anciennes traditions de la période de calendal*, c’est-à-dire la période de Noël (en provençal calendau est le cacho fio).
 
* Calendal, c’est aussi le nom du pêcheur intrépide de Cassis du poème de Frédéric Mistral, mais là n’est pas mon propos.

 
Le cacho fio a lieu devant la cheminée juste avant le “gros souper”, le soir du réveillon.
 
Je n’ai pas vécu cette tradition déjà perdue quand j’étais enfant, mais mon grand-père m’a raconté avoir été le caganis, c’est-à-dire le plus jeune de l’assemblée qui a porté la bûche en compagnie de son grand-père, le plus vieux.
 
Voici comment se déroulait cette cérémonie :
 
Le plus âgé de l’assistance, accompagné du caganis apporte la plus grosse bûche susceptible de brûler trois jours et trois nuits ; celle-là doit provenir d’un arbre fruitier (poirier, cerisier, olivier). Elle présage alors du retour du feu neuf, le feu du premier soleil de la nouvelle année.
 
Toute l’assemblée doit alors faire trois fois le tour de la table recouverte de trois nappes, tandis que le plus jeune procède à une triple libation sur la buche à l’aide d’un rameau trempé dans du vin pendant que l’aïeul prononce les paroles de bénédiction en provençal :
 
 
Cacho fio, bouto fio
Alègre, alègre Dièu nous alègre
Calèndo vèn, tout vèn bèn
Dièu nous fague la graci de veire l’an que vèn
Et se noun sian pas mai, que noun fuguen pas mens
 
Bûche de Noël, donne le feu
Réjouissons-nous
Dieu nous donne la joie, tout vient bien
Dieu nous fasse la grâce de voir l’an qui vient
Et que si nous ne sommes pas plus, nous ne soyons pas moins.
 
Toutes ces actions se faisaient par trois fois en référence à la Sainte Trinité.
 
On tirait ensuite présage de la façon dont la bûche s’enflammait et elle devait durer jusqu’au jour des rois, jour de l’épiphanie.
 
Une fois entièrement calcinée, elle passait pour miraculeuse et mon arrière grand-mère ne manquait pas d’en placer un morceau sous le lit pour préserver la maison du tonnerre et des incendies tandis que l’arrière grand père en apportait un morceau à l’étable pour protéger les animaux contre la maladie.
 
 

Ulysse... Phébus... Le Vizir

Giselle Penat-Laborde 
 
Années 50
Tous nos chevaux venaient effectivement des maquignons du Luc.
J’ai le souvenir de superbes bêtes, aux pattes impressionnantes, qui ne portaient pas le nom de Bijou !
 
Mon père avait eu un magnifique cheval noir, d’une rare élégance qui fournissait un travail exemplaire. Beaucoup de personnes venaient admirer d’ailleurs Le Vizir, du nom du cheval de l’Empereur, [même si Le Vizir de Napoléon était un petit pur-sang arabe, à la robe gris clair truitée].
 
Féru d’histoire, Papa donnait souvent à ses animaux des noms historiques et mytho-logiques, Ulysse, Phébus, par exemple.
 
Un jour Le Vizir péta les plombs au sens le plus large du terme : il devint fou, faillit tuer Papa alors qu’un matin, il le préparait pour partir aux champs ; il s’en méfiait heureusement, car depuis quelques jours, Le Vizir ne tournait plus bien rond.
 
Il avait déjà donné quelques signes d’emballement soudain et inexpliqué, avec des réactions inattendues, de plus en plus dangereuses. Papa en avait aussitôt averti lesdits maquignons et un vétérinaire.
 
 
 
 
Diagnostic : un “bug” dans la castration, ratée de toute évidence, qui lui avait endommagé certainement les neurones ; il a fallu s’en séparer rapidement.
Irrécupérable, dangereux. Il fut embarqué non sans mal pour l’abattoir et la boucherie.
 
Notre petite chienne de l’époque avait pour habitude de dormir tout près des chevaux dans la paille, mais là, elle se mettait toujours assez loin du Vizir.
 
Il faut croire que Dolly avait pressenti que le cheval n’était pas fiable ni bien tranquille et qu’il valait mieux s’en tenir éloigné. 
 
Sa mort à elle, qui avait déjà atteint l’âge de 18 ans, fut accélérée par l’arrivée du tracteur.
Comment dormir entre les roues froides de cet engin ?
 
Il y eut un mulet célèbre à Roquebrune : Pètou, le mulet de Marius Hyacinthe, souvent photographié sur la route des Pétignons, qui passa ainsi à la postérité.
 
Je me souviens aussi très bien du maréchal-ferrant, Monsieur Penal et de Monsieur Roustan également.
 
Tous deux s’occupaient des chaussures de nos équidés.
Cheval et charrette - N° 101
Photo André Abbe

Allée du XVe Corps d'Armée

Les villes de Fréjus, Toulon, Nice, Saint-Raphaël – pour ne citer qu’elles – possèdent une avenue du XVe Corps.
Mais  quel était ce corps d’armée et pourquoi tant de lieux publics portent-ils son nom ?
Lisez ce très intéressant récit de Claude Boyer.

Le Mont Vinaigre

Le Mont Vinaigre (618 m) est le point culminant de l’Estérel, dans le Var.
 
Voici la tour de guet pour les incendies. Mon grand-père y a été guetteur.
 
C’est une photo des archives familiales de la vieille tour qui a été démolie par l’ONF, ainsi que la maison des guetteurs… allez savoir pourquoi…
 
Mon grand-père a été aussi guetteur à la nouvelle tour. J’y ai dormi et vu des levers de soleil sur la baie de Cannes à couper le souffle et des couchers sur le rocher de Roquebrune.
 
Maryse Laugier

La bugadière

André Abbe
[…] il y a une trentaine d’années à Vinadio (province de Cuneo – Italie), dans la haute vallée de la Stura, pays où on parle “a nostro modo”, un dialecte vivaro – alpin de l’occitan.
Le bidon de lait nous dit que nous sommes en pays d’élevage.
 
Je me demande aujourd’hui ce que faisait cette dame. Venait-elle de laver tout ce linge au lavoir ou venait-elle le rincer après avoir fait la bugade ?
 
On lavait son linge une fois par semaine mais on ne faisait la bugade qu’une ou deux fois par an, pour les draps en particulier qui bouillaient dans une lessiveuse…
Les bugadières (lavandières) qui se retrouvaient autour des lavoirs pour laver le petit linge ne faisaient pas la bugade : elles venaient “laver”.
 
En français populaire directement issu de l’occitan, on disait “Je vais laver”, “Je vais étendre” … “Je vais donner” (à manger et à boire au cheval) …  “Je vais aux poules”…
 
On avait jugé une bonne fois que les interlocuteurs étaient assez dégourdis pour comprendre sans que le reste soit ajouté.

 

Transhumance...

Transhumance vers la Serre (Alpes-de-Haute-Provence) en direction d’Entrevaux, vers 1980. Photo André Abbe.

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