La Gazette de Passadoc – N° 102

Sous le gui !
Noël en Provence… Souvenirs d’enfance
Les arènes de Fréjus
“Le Petit Prince” a 80 ans !
Sur les traces de Saint-Exupéry
Monsieur Seguin
La vie des bergers
Le rendez-vous du 7 janvier !
La bibliothèque de Passadoc

Sous le gui !

André Abbe

 
Tradition de la Saint-Sylvestre : que fait-on le 31 décembre ? On s’embrasse sous le gui !
 
Dans la Rome antique, on s’échangeait des pièces et des médailles à l’occasion du changement d’année. Cette tradition perdure dans les étrennes qui sont remises aux enfants le jour de la nouvelle année.
 
Une dizaine de jours après les saturnales, les Romains organisaient des échanges de voeux à l’occasion de copieux repas qui s’accompagnaient d’offrandes de rameaux verts et de confiseries. Cette période de fête était clôturée par les jeux du cirque.
 
Jusqu’à Jules César, la fête célébrant la fin d’année n’était pas une date fixe, à l’époque romaine, la fête se déroulait généralement en février. Jules César a fixé la fin d’année au 31 décembre.
En France, il faut attendre Charles IX pour que le premier jour de l’année, le Nouvel An, soit fixé au 1 janvier…

A l’an que ven !
se si sian pas mai que siguen pas mens…

À  l’année prochaine !
si nous ne sommes pas plus que nous ne soyons pas moins.

Noël en Provence... Souvenirs d'enfance

Photos Giselle Penat-Laborde
Giselle Penat-Laborde
 
Au fil des souvenirs, ma crèche de 2010 a refait surface. La magie de Noël en quelque sorte. Noël ne reste-t-il pas une tradition ancrée dans nos subconscients et ce depuis notre plus tendre enfance ?
 
Avec nostalgie, je pense à toutes nos traditions provençales, à nos fêtes calendales, qui se transmettaient et se transmettent certainement encore de génération en génération, et que je n’ai pu transmettre à personne.
 
Comme l’a écrit Philippe Labro dans son dernier opus J’irai nager dans d’autres rivières, dans lequel il a commencé chaque chapitre par ces mots : J’emporterai…
 
J’emporterai…
 
Oui, j’emporterai avec moi tous ces souvenirs ancrés dans mon cœur et ma mémoire, ces dates-clef jalonnant cette période des calendales du 4 décembre au 2 février : la Sainte-Barbe, la crèche, le gros souper du 24 décembre, les 13 desserts, le cacho-fio, le repas du 25 décembre à midi, et surtout le visage d’être aimés autour de cette grande table…
 
Ces fêtes calendales restent quelque part pour moi, la plus belle fête de l’année, celle est qui est célébrée avec amour, partage et respect des traditions.
 
Au fil des ans, ces traditions ont été certes quelque peu chamboulées et bousculées par un vent de renouveau économico-sociétal, dans l’air du temps de la mondialisation, dont “le marchan-dising”  à tout va, et toutes les influences venues d’ailleurs.
 
Il en va ainsi pour la crèche, que normalement nous confectionnions toujours la veille de Noël, le challenge étant de pouvoir bien conserver la fraîcheur de la mousse et des feuillages jusqu’au 2 février, jour de la Chandeleur …
 
Le sapin de Noël restait un inconnu au bataillon dans ces années 50/60, l’influence des pays du Nord n’ayant pas encore pénétré sur les terres de Provence, qui restait fidèle à ses traditions.
 
Quand l’heure de l’arbre sonna, nous prenions un petit pin, un cade ou genévrier, lointain cousin du vrai sapin à mes yeux, ou le plus souvent nous confectionnions et décorions avec maman, dans une jarre ou gros vase, un bel assemblage de branches. 
 
Toutes les décorations étaient d’ailleurs faites maison, je découpais sur des cartons, papier kraft et vieux papier cadeau, anges et étoiles, faisais des coloriages et collages. Quelques boules anciennes sorties de je ne sais où, avec des bougies et guirlandes, du plus bel effet…
 
Mon grand-père maternel, mon père et mon frère furent mes maîtres dans l’art de la récolte des matériaux verts et de tous les végétaux nécessaires à la confection de la crèche provençale ; ils m’ont ainsi transmis leurs savoir-faire et leurs astuces maison pour faire une jolie crèche, plus ou moins réussie selon les années.
 
Pour la récolte des incontournables matériaux de construction : nous n’allions pas très loin à Roquebrune, souvent sur la propriété de Sainte-Anne, chez mes grands-parents maternels, sur les hauteurs en montant à Notre-Dame, dans les Roques aussi, où papa avait quelques parcelles forestières et agricoles.
Je me revois munie d’un petit panier trottinant et sautant comme un cabri, à côté de mon père et de mon grand-père que j’entends encore dire en provençal :
 
Si tu continues de faire tant de bruit, tu vas faire sortir le loup…
 
ou menace encore plus grave :
Le père Noël ne passera pas, si tu fais l’âne…
 
 

Il fallait assortir les plaques de mousse blanche et de mousse verte, les préparer avec soin, sans trop de terre, qui alourdissait les paniers, y ajouter des branchages issus d’arbustes bien de chez nous : olivier, pin, cade/genévrier, ciste, chêne, bruyère, des feuilles aux couleurs automnales pour faire les chemins… Ce que je faisais encore il y a une dizaine d’années comme on peut le voir sur ces
photos.

Venait l’heure tant attendue de faire la crèche et quel bonheur d’installer les santons ; d’abord il fallait les sortir des emballages protecteurs, dans mon enfance c’était du papier journal, du coton hydrophile du tissu ou vieux chiffon avant de disposer toutes les figurines selon un ordre et une place bien déterminée, pas n’importe comment…
 
La collection des santons était assez hétéroclite, peu homogène, faite un peu de bric et de broc avec des petits et grands, qu’il fallait donc disposer selon leur taille en respectant l’échelle…
Il y en avait même quelques-uns taillés dans le bois et peints grossièrement, par mon arrière-grand-père paternel et mon grand-père paternel (ou leurs ouvriers), dans ce milieu des compagnons charrons, fin XIX° et début XX°.
 
La crèche, le moulin étaient aussi très rustiques, bricolés de la même façon en bois, dans des chutes certainement. Un charron, si bon fut-il, n’était pas forcément un santonnier ni sculpteur sur bois !
 
J’ai encore quelques rares santons qui ont survécu aux aléas de la vie et aux deux guerres mondiales, de mon grand-père paternel et de mon père, déjà à l’époque des fidèles des santonniers Carbonel de Marseille.
 
Au fil des ans, j’ai constitué un bel ensemble et mon petit peuple d’argile s’est enrichi pour avoir une belle collection de santons de 9 cm avec également divers accessoires, maisons, étables, ponts… Cette année ils resteront dans leur malle et cartons…
 
Nous rajoutions bien entendu les branchages et feuillages de toutes les essences, toujours ramassés en trop grande quantité. J’ai encore cette mémoire olfactive, ces mélanges d’odeurs et parfums des bois, qui avaient quelque chose de magique et d’envoutant.
 
Tradition, authenticité, émotion, partage, émerveillement, transmission, enchante-ment… Histoire de rêver un peu, ouvrir les yeux sur la beauté du monde qui nous entoure, s’émerveiller, s’apaiser, retrouver son âme d’enfant, se réchauffer le cœur.
 
 
Prenez soin de vous et des vôtres ! Avec mes vœux les meilleurs et souhaits les plus sincères pour ces fêtes de fin d’année. Qu’elles soient riches en affection, sérénité, douceur sans oublier les douceurs.
 
Que Noël vous apporte beaucoup de joie et des moments agréables en famille.

Les arènes de Fréjus

Marie-Odile Beraud

Aujourd’hui, elles font penser à un chantier, je me demande comment on a pu laisser faire cela… Ils sont où ceux qui veillent à la restauration des monuments historiques ? C’est une horreur !

Dominique Eschemann Mailloux

Cela ressemble plus à une dégradation de l’âme du monument antique qu’à une restauration : il faudrait ressusciter les Ro-mains pour qu’ils conseillent les architectes des Monuments Historiques qui ont conçu les plans du chantier !

"Le Petit Prince" a 80 ans !

 

Jeanne Monin

Antoine de Saint-Exupéry est né à Lyon et il a disparu aux larges des côtes marseillaises. Cela fait-il de lui un homme du sud de la France ? Disons oui, rien que pour le plaisir !
 
Édité à New-York en 1943, Le Petit Prince ne paraît en France qu’en 1946. Saint-Ex est mort depuis deux ans ; il ne connaîtra jamais le succès de son livre, classé aujourd’hui “monument de la littérature”, traduit dans des centaines de langues… et bien controversé !
 
Il dédia son livre à Léon Werth :
Je demande pardon aux enfants d’avoir dédié ce livre à une grande personne. j’ai une excuse sérieuse : cette grande personne est le meilleur ami que j’ai au monde.
 

Deux ou trois excuses… il termine par :
[…] À Léon Werth quand il était petit garçon.

 
Certains esprits sérieux, très sérieux, trop sérieux, trouvent l’histoire simplette — “gnangnan” ai-je lu. D’autres affirment péremptoires que ce n’est pas un livre pour enfant, qu’il faut avoir un esprit formé à la réflexion, à la philosophie, pour en apprécier la profondeur.
Ces gens-là m’agacent… et m’attristent à la fois : ils ont oublié qu’ils furent des enfants… Je suis presque sûre qu’ils ne s’émerveillent pas devant un coucher de soleil.
 
Peine perdue que de leur dire :
Savez-vous qu’il existe une petite planète – l’astéroïde B 612 – où en un seul jour, on peut voir le soleil se coucher 44 fois ?
Beaucoup hausseront les épaules… Un compatira peut-être :
Hélas, la sénilité lui a dévoré les neurones.
 
Sur une étagère, j’ai rangé le petit livre aux pages un peu cornées à force d’être lues ; entre elles se cache un petit homme qui ne veut pas vieillir, un prince à qui je demande parfois :
S’il te plaît, dessine-moi un mouton…
.
Le Petit Prince – Gallimard 1999.
[Photo J. Monin]

Sur les traces de Saint-Exupéry

 
André Abbe

En 1997, nous nous sommes arrêtés au cap Juby, 70 ans tout juste après le séjour qu’y fit Antoine de Saint-Exupéry. Il était chef d’aéroplace, chargé d’accueillir les pilotes de l’Aéropostale au cours de leur escale.
Malheur à ceux qui tombaient en rade dans le désert, les Maures ne faisaient pas de cadeau mais ils pouvaient accepter une rançon.

La station de Cap Juby elle-même n’était pas sécurisée… mais “le courrier doit passer” avait déclaré le patron Didier Daurat.

J’avais lu Courrier Sud que Saint-Ex avait écrit à Cap Juby. C’est avec émotion que j’avais vécu cette halte pèlerinage en compagnie des trois amis présents sur la photo.

En cinq semaines, nous étions allés de Provence au pays Dogon via l’Espagne, le Maroc, le Sahara Occidental, la Mauritanie, Saint-Louis au Sénégal, Kayes et Bamako au Mali. Nous avions fait de nombreux détours notamment à Chinguetti… Inoubliable.
Ce fut ma troisième et dernière traversée du Sahara en voiture. Les pistes ne sont plus sûres (elles ne l’ont jamais totalement été).

À propos : j’ai lu dans plusieurs textes que le cap Juby était au Maroc. C’est vite dit ou plutôt vite écrit. Il se trouve dans l’ancien Sahara espagnol que le Maroc a annexé. L’ONU n’est pas d’accord et des habitants du lieu non plus.

Monsieur Seguin

Claude Boyer

M. Seguin n’avait jamais eu de bonheur avec ses chèvres. Il les perdait toutes de la même façon : un beau matin, elles cassaient leur corde, s’en allaient dans la montagne, et là-haut le loup les mangeait…

Tous nous avons peu ou prou frémi à l’évocation du funeste destin de Blanquette raconté par Alphonse Daudet en 1869.

Si certains parents en ont tiré une leçon de prudence pour leur enfant, qui s’est vraiment demandé si cette triste histoire n’avait pas un fond de vérité, ou du moins si elle n’a pas été inspirée de personnages ayant réellement existé ?

La question peut paraître saugrenue de prime abord, mais s’il en était autrement ?

À Fontvieille, Daudet est familier d’un grand nombre d’habitants du village et il est plus que probable que certains d’entre eux l’ont inspiré pour ses héros de fiction qu’il nous dépeint avec tant de charme.

Mais contrairement à la légende, Daudet n’a jamais habité le moulin ; quand il est à Fontvieille, il réside au château de Montauban, accueilli par la famille Ambroy.

[En 1870, il achète la propriété dans laquelle il passe l’été depuis plusieurs années (à Draveil, Essonne). Il y écrira nombre d’ouvrages, notamment les Lettres de mon moulin.]

Comme nous connaissons l’histoire de Blanquette, nous connaissons tous Le secret de maître Cornille. Or, Cornille est un nom répandu dans les Alpilles ; mais qu’en est-il de Seguin ?

En vérité, ce n’est pas un patronyme très fréquent mais il apparaît de façon régulière dans les registres paroissiaux et d’état civil.

Les détracteurs de la thèse d’un “moussu Seguin” qui aurait inspiré le romancier veulent pour preuve qu’on n’avait plus vu de loup dans la région depuis belle lurette lorsqu’il écrivit son conte. Mais leur argument se trouve mis à mal car les archives communales font état d’un loup tué à Fontvieille au milieu du XIXe siècle.

 

La bête, traquée par un berger nommé Jean Peyre, s’était réfugiée au village où elle fut mise à mort par le dit berger dans la rue devenue depuis rue… Alphonse Daudet (tiens ! tiens !).

Le chasseur exposa la peau dans une maison près de la tour des Abbés, maison encore dénommée de nos jours l’oustau de la pèu seco (la maison de la peau sèche). Ce fut le dernier loup qu’on vit à Fontvieille.

Il est impossible qu’Alphonse n’ait pas entendu parler de cette histoire qui n’avait du coup plus rien d’anachronique, mais qu’en était-il de M. Seguin ?

Un érudit local, Honoré Coudière ainsi que de nombreux villageois affirmaient son existence en la personne d’un cultivateur de Tarascon nommé Jean Seguin, fils de François Seguin et de Magdeleine Chauvet. Ce Tarasconnais faisait de fréquentes visites à Fontvieille, moins pour le village que pour une fille du cru nommée Elizabeth Bertrand qu’il épousa en 1857, et dès lors s’installa au pays de sa belle.

Jean abandonna sa profession de cultivateur pour celle de berger. Menant ses chèvres dans les collines, il rencontra de nombreuses fois Daudet tandis que celui-ci parcourait les Alpilles à la recherche de l’inspiration.

C’est sans doute de ces rencontres et de l’événement du loup qu’a germé dans l’esprit de l’homme de lettres l’idée de l’apologue que nous connaissons tous. Il ne restait plus qu’à situer la ferme d’où Blanquette s’évaderait.

Pour parfaire l’histoire, il y avait au pied du moulin un vallon au milieu duquel se dressait un petit mas. Ce mas était entouré d’un clos et dans le champ poussaient des aubépines. Il a appartenu au père d’Honoré Coudière, forcément bien placé pour en parler.

Ainsi donc, monsieur Seguin a bien existé. Ce brave berger est mort en 1912 à Fontvieille sans s’imaginer qu’on parlerait de lui dans le monde entier pour les décennies à venir…
L’histoire est-elle vraie ? On se plaît à y croire.

D’aucuns affirment que Daudet s’est inspiré du poète grec Théocrite, mort vers 250 av. J.-C., qui avait écrit Thyrsis, le chevrier pleurant une chèvre qu’un loup a dévorée.

Avouez que la version d’Honoré Coudière est quand même plus sympathique !

Source : Généprovence

Jeanne Monin
 
L’histoire est-elle vraie ? On se plaît à y croire, demande Claude Boyer.
 
Il faut aussi croire que les chèvres parlent, tout comme les mules papales qui de plus ont grande mémoire :
Tiens ! attrape, bandit ! Voilà sept ans que je te le garde !
 
Comme les cigognes lorsqu’elles s’enfuient en Camargue en clamant : Il fait froid… froid… froid…
 
Comme les oiseaux du petit bois regardant étonnés, un homme allongé dans l’herbe et qui écrit des vers :
Il écrit sur du papier ministre… c’est un artiste, dit la fauvette.
Vous avez remarqué comme il est habillé ! C’est un prince ! affirme le bouvreuil.
Ni un artiste ni un prince, interrompt un vieux rossignol, […] Je sais ce que c’est : c’est un sous-préfet !
 
Rapide recherche “étymologie/généalogie” avec Seguin comme nom de famille :
– 1891. C’est en Gironde qu’on trouve le plus de “Seguin” : 276 naissances et 5 dans le Var.
– 1990 → 322 en Gironde ; 28 dans le Var.

La vie des bergers

Alain Salvat

L’Ouliveto raconte une journée de transhumance dans la Tinée, une des vallées du Mercantour (Alpes Maritimes).

Au milieu de la journée, ils étaient 12 bergers et 2 000 moutons et chèvres sur la route de la Haute Tinée. Les camions avaient déposé la totalité du troupeau à Auron, la station de ski. Les randonneurs et fous de la nature et de traditions attendaient le signal du départ sur la piste pour Saint-Étienne de Tinée où se déroulait la Fête de la Transhumance.

2 000 bestiaux, quelque 20 chiens Patou (bergers des Pyrénées, efficaces contre le loup) et Border-Collies (extrêmement intelligents) et quelques bâtards ayant les qualités des deux races, 2 ânes, une charrette attelée de chevaux et… la troupe humaine des suiveurs, cela faisait une caravane visible de loin.

Le Départ s’est fait sous un chaud soleil. Mais le temps en haute montagne est vite changeant ; en route, les accompagnateurs ont subi une de ces raïsse (averse), à se demander si la laine des moutons n’allait pas feutrer. Mais ce n’est pas tout, il a fallu aussi avancer sous la grêle qui estimait que le troupeau n’en avait pas assez subi.

Le problème, ce n’est pas tant les éléments mais ce sont les conséquences : les animaux qui s’affolent, un troupeau aussi vaste c’est difficile à gérer. Heureusement les chiens sont de vrais pro. Ils jappent, saisissent la patte d’un indiscipliné, grognent et tout ce petit monde rentre dans le rang.

La présence humaine qui garde son sang froid les rassure un peu. Quelques coups de tonnerre, quelques éclairs plus tard, le ciel se dégage et la température qui est descendue à 10° remonte à 19°. Nous sommes encore loin des 25° du milieu de l’après-midi au moment du départ au soleil.

Des 44 randonneurs, bavards et gais au départ, il ne reste plus que 8 courageux qui ont sorti les capes de pluie. Le sentier où l’eau s’est écoulée, piétiné par des milliers de pattes devient boueux et il ne fait pas bon marcher dans la gadoue.

La surveillance est de tous les instants. Il ne faudrait pas perdre une bête le premier jour.

Les 7 kilomètres qui relient Auron à Saint-Étienne de Tinée sont avalés en un peu plus de 2 h 30. Le rassemblement des ovins est fait dans les parcs à moutons emménagés pour l’occasion. Ils passeront la nuit sous la surveillance des chiens et des hommes car même en bordure de village, les loups ne craignent pas d’attaquer.

Puis ceux qui ne sont pas de service vont se reposer, se restaurer et dormir, car demain dimanche, c’est le grand jour de la fête de la transhumance qui perpétue la tradition. La journée sera longue. Dès le petit jour il faudra veiller à ce que les troupeaux soient réunis, puis qu’il n’y ait pas de blessé. Enfin les moutons seront accompagnés au bord de la Tinée, la rivière qui descend des montagnes comme un torrent tumultueux.

 

Dès 10 h, une fois que les forains de la foire agricole seront installés dans les rues, on fera remonter les animaux sur la route. Devant le calvaire élevé en 1929 en souvenir du terrible incendie qui ravagea le village, nous rejoignons la procession des Pénitents Noirs et Pénitents Blancs, accompagnés du curé et des autorités.

 

Dame ! c’est un moment essentiel dans la vie d’un village agricole de montagne que le départ de la transhumance. Le troupeau qui s’étend à perte de vue, avance vers le village, il passe devant le prêtre qui prononce quelques mots et donne une bénédiction, aspergeant d’eau bénite les brebis et béliers qui n’en ont rien à faire. Mais les montagnards, les bergers, la population locale, très attachés à leurs traditions, à leurs racines, se signent et marmonnent une courte prière pour se protéger de tout l’inconnu qui va les côtoyer pendant les quatre mois que va durer l’exode. Parmi les pénitents, je reconnais nos amis Guy et Colette en camus blanc (aube).

 

Les bergers de tête sont accompagnés de leurs épouses et des nistons de 8-10 ans qui vont les accompagner un bout de chemin. La foule s’estamassée sur la place de l’Église et dans les rues.

Des centaines de photographes mitraillent ce spectacle peu courant. Puis le bourg une fois traversé, le troupeau est redescendu au parc à bestiaux.

Place aux chants, à la musique, aux confiseries, aux démonstrations de métiers d’antan. Dans une ambiance bonne enfant on bade. Des groupes de chanteurs entament des polyphonies des Alpes, nous les reprenons en chœur.

Un petit verre de vin de pays pour trinquer à… à quoi ? pas d’importance, on est joyeux, c’est la fête. Sur l’assistance plane une savoureuse odeur de viande grillée., les marchands de brochettes, de socca (galette de farine de pois chiche grillée au feu de bois que l’on mange avec les doigts) se frottent les mains. Les restaurants sont bondés, ils refusent du monde.

Au stand de mon groupe (ASESC) de maintien des traditions, nous faisons des démonstrations des métiers d’antan : réalisation de pâtes fraîches, dégustation de café d’orge, les gens s’étonnent de sa fabrication, des questions fusent, parfois irréfléchies. On découvre, on se renseigne, on s’instruit, les papis et les mamies disent à leurs petits enfants “J’ai connu ça…

On montre les fileuses aux fillettes et on leur explique que c’est avec un fuseau que la Belle au Bois Dormant s’est piquée et a dormi 100 ans. On leur fait essayer le rouet.

Nous proposons à un garçonnet de lui échanger ses “Nike” contre une paire de grolles à semelle de cuir clouté, pour protéger la semelle de cuir qui est très cher.

Nous aiguisons les couteaux de poche des messieurs à la meule à main comme autrefois (sur la photo, l’amoulaïre (rémou-leur), c’est votre serviteur lors d’une autre transhumance en 2000).

Vers 17 h, le troupeau refait un tour de village pour ceux qui ont manqué le spectacle du matin. Les moutons et toute la troupe d’accompagnateur va se reposer.

Demain (lundi) les animaux seront embar-qués dans plusieurs camions et montés au plus près des alpages. Là, ils descendront des transports automobiles et les derniers kilomètres se feront à pied jusqu’à l’Alpe aménagé où des cabanes en dur accueilleront les bergers et où des parcs clôturés de barrières électriques, avec des caméras infra-rouges pour assister les chiens dans leur tache de surveillance contre les loups qui ne vont pas tarder à se manifester.

L’Alpe est à 2 750 m, situé à avant le Col de la Bonnette-Restefond (2 802 m). Dans les jours qui vont arriver, d’autres troupeaux vont rejoindre ces 2 000 têtes de bétail. Ils viendront de la Vallée de l’Ubaye et de Jausiers, profiter de la belle herbe tendre de ces prairies d’altitude. Leur lait n’en sera que meilleur et les fromages fabriqués sur place, comme autrefois par les bergers, seront redescendus chaque semaine par les jeeps 4×4 des commerçants qui viennent se servir à la source.

Cette vie dure mais saine sera le lot quotidien des bergers jusqu’en octobre.

 

 

Premier éditeur : Jules Hetzel (1814-1890),
écrivain et découvreur d’auteurs aujourd’hui célèbres,
tel Alphonse Daudet
dont il publiera les Lettres en 1869.

 

 

 

 

 

Publié en France en 1946
par Gaston Gallimard,
fondateur de la NRF

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