Tout au bout du village, la vieille Cassandre habitait une maison plus vieille encore ; après son pré que ne fréquentaient que les lapins, commençait la forêt du Mercantour.
On la disait un peu sorcière, une peu voyante… un peu folle ! On se gaussait de ses prédictions concernant le temps ; annonçait-elle la pluie ? il n’était pas rare qu’il fasse grand bleu le lendemain. Mais quand elle levait son bâton de buis noueux en murmurant :
– L’un de vous ne verra pas la Noël…
On avait hâte d’être en janvier !
Une année, elle avait pointé son bâton vers Clément en faisant un petit “Au revoir !” de la main ; tout le village s’était esclaffé !
– Elle est vraiment démente la vieille Cassandre ! On lui achèterait sa santé au Clément !
Seulement, la Toussaint passée, on enterra Clément, mort subitement.
Dans le village, il y avait aussi une jolie petite maison entourée d’oliviers, une maison dans laquelle curieusement, les habitants se disaient mal à l’aise ; les familles n’y séjournaient guère plus d’une année.
– Il faut obturer les fenêtres ouvertes vers l’ouest ; c’est par là qu’entrent les vents et la Faucheuse qui emporte les âmes, avait dit Cassandre.
On avait souri… mais on avait cloué des planches sur les volets. Et ça avait marché ! Les Landolfi s’étaient installés, les années heureuses avaient succédé aux années heureuses… Frédéric était né, petit dernier d’une fratrie de trois.
Pour fêter son septième anniversaire, ses parents préparèrent une fête familiale. On poussa les meubles, on agrandit la table, on s’activa en cuisine.
– Pousse-toi Frédéric !
– Mais Maman…
– J’ai pas le temps ! Pousse-toi !
Frédéric se réfugia au grenier ; là, il ne gênerait personne. Il fouilla dans la grande malle, déplaça les objets cassés qu’on entassait pour un usage encore possible bien qu’incertain…
– Frédéric !
La voix venait de l’extérieur… Le petit garçon grimpa sur le siège d’un vieux fauteuil éventré, ouvrit la lucarne… la seule ouverture qu’on avait oubliée de condamner.
On raconte qu’il y eut comme un grondement qui fit trembler la maison, suivi d’un effrayant silence… Allongé sur le sol, Frédéric n’avait plus d’âme. Il n’y eut pas de fête et les Landolfi déménagèrent loin du malheur.
Aujourd’hui, la maison n’est plus que ruines… mais certains villageois préfèrent changer de trottoir plutôt que de longer ses murs. D’autres se signent quand, au cimetière, ils passent devant la tombe de la vieille Cassandre… on ne sait jamais, n’est-ce pas… D’autres encore racontent que les jours de grande tempête, dans le vacarme des vents furieux, on entend hurler les loups… on entend aussi une plainte comme les pleurs d’un petit enfant.
Mais on raconte tant de choses du côté du Mercantour…
Auteur : Jeanne Monin