La Gazette de Passadoc – N° 199

L'hebdo 199

Souvenirs…

11 novembre 1918… C’est la liesse pour tout le peuple français : enfin la terrible guerre est terminée !

Et chaque année – depuis 106 ans maintenant – on commémore l’armistice de 1918… Les maires font des discours, les fanfares municipales défilent, des gerbes de fleurs barrées d’un ruban tricolore sont déposées au pied des monuments aux morts.

C’est après la guerre de 1870-1871, qu’apparaissent ces premiers monuments ; on en dénombre un bon millier en 1913… plus de 40 000 aujourd’hui. Ils rappellent aux vivants que des hommes sont morts pour la liberté.

Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom

Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom

Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom

Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom

Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom

Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom

Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom

Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom

Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom

Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom

Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom

Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes maisons réunies
J’écris ton nom

Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom

Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom

Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom

Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom

Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom

Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom

Sur l’absence sans désirs
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom

Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom

Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Liberté !

Paul Éluard (1895-1952) – Écrivain, poète de la Résistance. En 1942, son magnifique poème Liberté est diffusé.


Dans un tout autre registre, le poète Georges Brassens (1921-1981)
écrit La Guerre de 14-18 ; mal comprise, la chanson va faire grincer des dents !
En 1978, dans une émission télévisée, il déclare :
Ceux qui me connaissent savent que jamais, jamais je n’ai eu l’intention de tourner en dérision ces pauvres hommes,
ces pauvres soldats morts à la guerre. Pour moi, cette chanson signifie : Vive la paix !

Jeanne Monin – Recherches sur plusieurs sites.

Il y a 110 ans commençait la grande boucherie de la Première Guerre mondiale. 
Entre 1914 et 1918, notre monde rural s’est vidé de sa jeunesse et ne s’en est vraiment jamais remis.

Sur notre monument de Roquebrune, les photos des soldats morts pour la France s’effacent peu à peu, rendant les visages méconnaissables.

Sur celui du village de Nohant-Vic dans l’Indre, j’ai trouvé des photos de soldats en parfait état de conservation qui m’ont ému. Ces jeunes hommes étaient présents devant moi.
André Abbe

Les jeunes sont partis au combat et ne sont pas rentrés. Ce village aujourd’hui abandonné.
 
Je viens de retrouver cette photo du monument aux morts de Châteauneuf (Alpes de Haute Provence) près de la Palud, au-dessus des gorges du Verdon.

J’aimerais savoir si un historien a fait le compte des villages dont cette guerre a provoqué la mort.
André Abbe

La rainette
Passadoc

La rainette

André Abbe
La rainette vient me voir les jours de pluie… Une de mes préférées des bêtes de ma ferme !

 

À propos de tombes, de cimetières, un p’tit retour vers la Toussaint évoquée dans la précédente gazette : […] le Premier novembre, nombreux sont ceux qui – croyants ou athées – profitent de ce jour pour aller fleurir les tombes des chers disparus, mêlant ainsi la fête de tous les saints à la fête de tous les morts. Et les cimetières ressemblent à des champs de fleurs !

Comme tous les ans à la Toussaint, la tombe “Famille Koubesserian” – allée D carré 4 – ne sera pas fleurie.

Au village, quelques vieux, quelques vieilles se souviennent… enfin, ils se rappellent de ce nom étrange qu’ils entendaient enfants, un nom qui revenait souvent dans les conversations des grandes personnes, au bar-tabac de la placette, un nom qui déclenchait les discussions.

Ernest arriva en octobre 39, pour les vendanges. Comme bien des hommes étaient mobilisés, on apprécia sa vaillance au travail. On lui permit de se loger dans la grange des Valensol, du moins ce qu’il en restait car le bâtiment était abandonné depuis que le feu n’avait laissé que ruines. Ça aussi, ça faisait jaser !

J’y ai jamais cru moi à cet incendie spontané…
– Toi, tu doutes de tout, même du Bon Dieu !
– Mélange pas tout, tu veux ! N’empêche qu’avec la prime d’assurances, les Valensol ont pu acheter un tracteur tout neuf !

Grâce à Ernest, on eut enfin un nouveau sujet pour deviser !

Me demande ce qu’il vient faire par ici… Y a pas la guerre chez lui ?
– Paraît que toute sa famille a été massacrée ; lui seul s’en est sorti par miracle.
– En tout cas, y bosse ! Et grâce à lui, les vendanges seront bientôt finies !

Le jeudi 21 décembre 1939, deux gendarmes l’ont arrêté.

Vous l’avez bien dit que c’est un vaurien !
– Tu sais rien du tout ! T’es jaloux parce que Marinette et lui semblent bien s’entendre !

Le patron du bar haussa le ton :
Taisez-vous donc ! C’est un d’ici qui l’a dénoncé parce qu’il le trouvait pas bien baptisé…

Pour Ernest Koubesserian, il y eut d’abord Drancy, puis la prison et le travail dans une ferme allemande où il fut convenablement traité.

Ce fut la stupéfaction quand il revint en octobre 1947. On le croyait mort depuis longtemps. Avec ses économies, il acheta la grange en ruines des Valensol, qu’il retapa joliment et, surtout il épousa Marinette ! Le bonheur de ces deux-là dura deux ans jusqu’à l’accident : un chauffard du village voisin qui ignora le stop.

On les enterra tous les trois – car Marinette attendait un enfant – sous le tilleul, au bout du cimetière. Et on les oublia.

Comme tous les ans à la Toussaint, la tombe de l’allée D, carré 4, ne sera pas fleurie.

Jeanne Monin