La Gazette de Passadoc – N° 167

L'hebdo 167

Si on parlait de l’aïoli ?

Aïoli… Avançons prudemment, car le sujet est sensible et les habitants du sud de l’Occitanie sont susceptibles et sourcilleux dès que l’on aborde ce mets typiquement provençal !

Qu’en disent les auteurs des dictionnaires ?

Dans sa première édition (1872), Émile Littré* si prolixe en citations – Bossuet, Pascal, Corneille, etc. ; au hasard : trois pages de lecture pour le seul mot bouche – expédie l’aïoli, qu’il écrit aillolis, en une seule ligne : coulis d’ail finement pilé avec de l’huile d’olive.

Pierre Larousse* est tout aussi succinct : Sorte de mayonnaise à l’ail.

Pourtant, l’aïoli est connu depuis longtemps puisque d’après les recherches de Maguelonne Toussaint-Samat* –  Néron […] passe pour avoir inventé, personnellement, l’aïoli. L’historienne décrit aussi une recette byzantine riche en ail, rôti au four, puis écrasé avec de l’huile d’olive et du sel. C’est une délicieuse préparation que l’on retrouve en Espagne. Bien sûr, il faut aimer l’ail !

François Mauzy* (1853) écrit : On raconte […] que les Phocéens, qui vinrent jeter les fondements de la grande cité marseillaise (600 av. J.-C.), remarquèrent que, non loin des lieux où ils avaient établi leurs premiers campements, les cultivateurs avaient l’habitude d’écraser quelques gousses d’ail entre deux morceaux de pain noir et dur, et que, pour activer la trituration et donner plus de saveur à cet aliment, ils y mêlaient un liquide jaune, le roux d’un œuf cru, et mangeaient ensuite ce mélange avec un extrême plaisir.

On raconte également que Louis XVIII, en visite en Provence, fut invité à un banquet : […] on lui servit pour premiers plats la bourride et l’ailloli traditionnels. Il les trouva tellement de son goût, y revint si souvent et si copieusement, qu’à peine put-il toucher à ce qui suivit […]. Ayant demandé comment s’appelait cette sauce, on lui dit que c’était du beurre de Provence.
– Il est excellent, dit-il, mais l’animal qui donne le lait dont on retire ce beurre-là ne doit pas avoir des mœurs très douces.

Abandonnons l’avant  et courrons vite vers Monsieur Frédéric Mistral* : L’aïoli est un délice ; il n’y a rien de meilleur pour la santé, et c’est l’élément de base d’un repas provençal. L’aïoli est l’assaisonnement du poisson bouilli, de la bourrido, de la morue et des escargots en saumure ; et à côté de lui, s’il faut tout dire, la mayonnaise des Français n’est qu’une pommade de pharmacien !

Sous sa plume on trouve aussi : Autour d’un bon ailloli, bien monté et odorant et roux comme un fil d’or, où sont, répondez-moi, les hommes qui ne se reconnaissent point frères ?

Passons à la recette. Celle-ci serait celle du Cousinié Macàri* :
Pour 3 à 10 personnes, pilez finement dans le mortier 10 à 15 gousses d’ail, ajoutez deux jaunes d’œufs, salez modérément, et, petit à petit, goutte à goutte, sans cesser de remuer en tournant avec le pilon dans le même sens et avec le même rythme, incorporez un litre de bonne huile d’olive jusqu’à ce que vous obteniez une mayonnaise épaisse. Si l’aïoli devient trop épais, ajoutez avant de le terminer, une ou deux cuillères d’eau tempérée.

– Quoi ! 10 à 15 gousses d’ail ? Tant ? Il vous faut illico quelques grains d’ellébore ! Et dites-moi : quand incorporez-vous la pomme de terre écrasée ?

… car “la” recette semble ne pas exister ! Une recherche rapide et la liste s’enrichit d’ingrédients tels que huile de pépins de raisin, jus de citron, lait, mie de pain, moutarde et même gruyère râpé ! De quoi faire s’évanouir la moitié des habitants d’Occitanie et s’encolérer l’autre moitié !

En fait, il semble qu’il y ait autant de recettes qu’il y a de foyers en Provence…

 Ton aïoli n’est pas mauvais… je dirais même qu’il est bon… mais il ne vaut pas celui de Mamzette !
– Mamzette ?
– Bah oui ! Mamzette !… Ma grand-mère du Puget !

Le 6 janvier 1891, Mistral fonde L’Aiòli, un journal provençal qui vécut jusqu’en 1898.

Jeanne Monin

* Émile Littré (1801-1881) – Médecin, lexicographe, philosophe et homme politique français.
* Pierre Larousse (1817-1875) – Encyclopédiste et lexicographe français.
* Maguelonne Toussaint-Samat – En 1962, l’Académie française lui décerne le Prix Montyon pour l’ensemble de son œuvre.
* François Mauzy – Auteur de l’Essai historique sur les mœurs et coutumes de Marseille au XIXe siècle.
*
Frédéric Mistral (1930-1914) – Lexicographe. Fondateur du Félibrige, membre de l’Académie de Marseille, chevalier de la Légion d’honneur en 1863. En 1904, il reçoit le Prix Nobel de littérature pour son œuvre Mirèio.
Cousinié Macàri : pseudo de F. Mistral.

L’AÏOLI

Nous ferons l’aïoli ! C’est dit ! Et chacun rêve
De cabanons parmi les pins, près de la grève,
Où, tandis que les uns pêchent quelque poisson,
La ligne en main, tirant trop souvent l’hameçon,
Tandis que moins ardents les autres font un somme,
Le plus connu pour son adresse, le vieil homme
Habile à bien broyer dans le mortier profond
L’ail roux avec quoi l’olive se confond,
Travaille, sans témoin qui le trouble et l’arrête.
Son pilon régulier tourne et, penchant la tête,
D’une main vigilante, il broie, et l’autre main
Verse l’huile qui coule et ressemble en chemin,
Goutte à goutte épandue, à de l’or qui s’égrène.

(1878) – Poèmes de Provence – G. Charpentier 

Vidéo signalée par Claude Boyer

  • Les échos de la semaine
    Avril…
    Un petit quiz
    Sur la table provençale

  • Passadoc
    Publication du 27 mars

Avril

On connaît peu Eugène Eiffel, – petit-fils de Gustave.

On sait juste qu’en 1932, il installa la réplique de la Tour Eiffel (augmentée d’une dizaine de mètres) dans la ville varoise où il s’était retiré.

Un exploit dont curieusement on ne parle guère… Étonnant non ?

[Photo André Abbe – Paris 1978]

 

Jean-Philippe Tinois précise :
– Il a même demandé l’aide des marmottes suisses pour réaliser l’emballage en papier alu.

… car on est le Premier avril  et depuis près d’un demi-millénaire, le 1er avril donne lieu en France et dans quelques autres pays, à d’aimables facéties.

Cette tradition remonte au roi Charles IX. Avant son édit de Roussillon (9 août 1564), en France, l’année calendaire commençait le 25 mars, et de ce jour jusqu’au 1er avril, les Français avaient coutume de se faire des cadeaux pour célébrer le passage à l’année nouvelle. 

En souvenir de ces temps anciens, les Français et autres francophones n’en continuent pas moins à se faire des cadeaux “pour rire”. Comme le 1er avril coïncide avec la fermeture de la pêche, le mois d’avril étant la période du frai pour beaucoup de poissons de rivière, on qualifie ces amusements de “poissons d’avril”, car ils sont aussi peu sérieux que de pêcher un poisson en avril !…

D’autres explications sont proposées, notamment celle-ci : le poisson stylisé serait une “sorte de code pour les premiers chrétiens, contraints de vivre leur foi dans la clandestinité”.

Un petit quiz !

Sur une table provençale

De la fameuse tarte tropézienne, à la pan bagnat, à la soupe au pistou, le sud de la France est connu pour ses plats de spécialité.
Originaire du cœur de la Provence, il y a aussi le sauçoun : tartinade classique qui se mangeait sur de grandes tranches de pain lorsque les agriculteurs faisaient une pause dans les champs.

[Photo André Abbe]

Claude Boyer
Li sian maï !... Si on parle Provence, on cite le sauçoun, l’aioli, la soupe au pistou, d’accord. Mais si on parle de sud, il faut citer le cassoulet, l’armagnac, le foie gras et le piment d’Espelette ! 

Quant à la tarte tropézienne, gardons à l’esprit qu’elle est avant tout une pâtisserie d’origine hongroise mise à la mode début des années 60, à la grande époque de BB qui tournait alors Et Dieu créa la femme

 

 

Un certain Micka, le pâtissier qui préparait les desserts pour l’équipe du film, voulut se distinguer et réalisa une recette qu’il tenait de sa babouchka. Comme spécialité provençale on fait mieux !

Redde Caesari quae sunt Caesaris, et quae sunt Dei Deo… [Rendons à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu].

 

 
Giselle Penat-Laborde
Eh oui “Li sin maï” ! Autrement dit : Nous y voilà !
 

“Lou saussoun varois”, souvenir de mon enfance …
Je revois mon grand-père mordre dans “lou saussoun” et s’en mettre plein les moustaches … et moi, haute comme trois pommes, de rire bien entendu. Tous nos ouvriers agricoles, pas toujours du cru d’ailleurs, en raffolaient et papa en faisait encore souvent durant les travaux aux champs, aussi loin que je puisse me souvenirs.

C’est sans doute l’une des plus vieilles recettes provençales, détrônée plus tard par la tapenade, plus “chic et choc” !

 
“Lou Saussoun”, prononcé “saossoun”, est oui une préparation varoise à base de fenouil, d’amandes et d’anchois.

 

Autrefois, cette préparation était appelée en Provence, la “sauce du pauvre homme“. On disait alors que simplement posée sur un morceau de pain, elle faisait tout un repas ….
La recette préférée de Frédéric Mistral dit-on aussi …

Quant à la tarte “bling-bling” de Saint-Tropez, pas vraiment une spécialité bien de chez nous – et pour les diabétiques comme moi, “un bon saussoun” est bien plus recommandé que la bombe à glucides tropézienne !
 
 
 

Publication du 27 mars

Une sorte de record !

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    Claude Boyer
    Jeanne Monin
    Giselle Penat-Laborde
    Jean-Philippe Tinois

     

  • Rédactrice en chef :
    Jeanne Monin

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